Philosophes antiques, énergumènes bariolés
Surtout, ne mangez pas de vulve de truie ! Inutile de demander pourquoi, maître Pythagore ordonne. Il interdit aussi, très fermement, d’ingérer des fèves, de mettre un couteau dans le feu. Il est vrai qu’on ne peut pas trouver un théorème tous les jours… C’est pourquoi Pythagore – légendaire autant que réel – a légué tant de conseils et consignes. Leur rationalité – existante, à ses yeux, il faut le supposer – est devenue pour nous inaccessible, donc baroque. Sages et fous, ces Anciens ! Bien des siècles plus tard, Irénée de Lyon, théologien chrétien d’envergure, imagine qu’on se mette à compter tous les cheveux de toutes les têtes pour calculer le nombre moyen exact…
Cette Bibliothèque idéale des philosophes antiques est un bonheur. Il faut l’entendre au sens ancien du terme : accident favorable, « heur » se révélant bénéfique. Car ce hasard qui ravit n’est pas un manuel, ni un grave et pesant recueil. Juste un choix, très libre et savant, de pages philosophiques, grecques et latines, échelonnées sur une dizaine de siècles, depuis l’Athènes classique jusqu’à l’Empire déclinant. On y découvrira, pas à pas, une Antiquité bariolée, insolite, contrastée – rien à voir avec le marbre blanc, les belles régularités. Un corpus « inépuisable, excessif, insaisissable », comme le dit Jean-Louis Poirier, maître d’œuvre de cette anthologie singulière et chatoyante.
Dans ce cabinet de curiosités, on croise évidemment personnages attendus et rôles classiques. Des présocratiques expliquent donc comment marche le cosmos, avant que Platon, abondamment présent, ne se cache sous une multitude de masques. De leur côté, Aristote, Epicure, les Stoïciens font la morale, traquent la nature du temps. Sénèque, comme d’habitude, exhorte à se préparer sereinement au pire : « Cet homme a perdu ses enfants, tu peux les perdre, toi aussi. Cet autre a été condamné : ton innocence court le même risque. » Qu’on se rassure, il y a plus joyeux.
Car Jean-Louis Poirier a plus d’un tour dans sa besace. Ce fin connaisseur de la philosophie antique fut professeur de khâgne à Henri IV avant d’être inspecteur général de philosophie. Il a notamment édité les Présocratiques dans la Pléiade avec Jean-Paul Dumont (1988), publié en 2016 Ne plus ultra. Dante et le dernier voyage d’Ulysse (Les Belles Lettres). Sa bibliothèque organise un périple qui ne néglige pas des penseurs peu fréquentés, comme Gorgias, qui soutient que rien n’existe, ou que nous n’en pouvons rien savoir, ou rien communiquer aux autres. Elle s’offre, et nous offre, des détours chez les historiens (Thucydide, Plutarque), les amateurs d’ésotérisme (Apulée, Hermès Trismégiste), les médecins (Galien), se souvient des auteurs juifs (Philon d’Alexandrie), chrétiens (Cléments d’Alexandrie, Tertullien, Origène, Augustin), néoplatoniciens (Porphyre, Jamblique, Némésius)… entre autres !
On pourrait jouer à « pourquoi X et pas Y ? ». Pourquoi Zénon le stoïcien mais pas Diogène le cynique, Apulée le romancier mais pas Lucien le satiriste ? Ce serait vain, puisqu’ici le principe du choix ne saurait être objectif. Mieux souligner que le résultat, en ces temps où se préparent les cadeaux, est du genre à offrir à celles et ceux qu’on souhaite réjouir, instruire et étonner. Pour une fois que quelque chose d’idéal est également réel, on ne va pas bouder son plaisir.
BIBLIOTHÈQUE IDÉALE DES PHILOSOPHES ANTIQUES
De Pythagore à Boèce
Textes rassemblés et présentés par Jean-Louis Poirier
Les Belles Lettres, 686 p., 29,50 €