Figures libres. Terrorisme, défis et dénis
Inutile de rappeler les titres de l’actualité. Carnages, attentats-suicides et décapitations marquent l’omniprésence du terrorisme djihadiste. Il n’y a pas si longtemps, presque tout le monde jugeait pareils scénarios invraisemblables. Sauf quelques rares observateurs − simplement lucides. En effet, après l’assassinat d’Ilan Halimi par le « gang des barbares », après la tuerie d’enfants juifs à Toulouse par un djihadiste français, après Bruxelles, après les fusillades organisées à Charlie Hebdo et à l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes (liste abrégée, que chacun complétera par quantité de meurtres analogues), il suffisait de ne pas être aveugle pour constater que c’est la guerre, que l’islamisme est un antisémitisme, que les djihadistes ont pour but explicite d’abattre les sociétés fondées sur la liberté d’expression, l’égalité des sexes, la séparation du politique et du religieux.
Dans ces défis, qui mettent en jeu l’existence même des démocraties, rien n’est simple. Encore faut-il ne pas les compliquer plus encore par quantité de dénis, esquives et faux-fuyants. Or c’est souvent le cas, ce qui augmente les risques de désastre. C’est pourquoi Alexandra Laignel-Lavastine, avec La Pensée égarée, lance un cri d’alarme. Philosophe et historienne des idées, Alexandra Laignel-Lavastine est l’auteure de travaux sur les penseurs d’Europe centrale, notamment Jan Patocka.
Avec cet essai incisif, qui vient de recevoir le prix de la Licra (Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme), elle combine une analyse des errements d’une certaine pensée de gauche et une défense et illustration des principes des Lumières. Objectif : retrouver au plus vite, en ces temps de confusion, un cap clair et net. Elle souhaite que l’on puisse voir et nommer les ennemis, les combattre au nom des valeurs qu’ils veulent éradiquer, et non en laissant resurgir les démons racistes. Elle souhaite surtout que l’on cesse, chez les intellectuels, d’enfumer et de démobiliser.
La passe est étroite
Il s’agit donc d’éviter deux écueils, dont la mise à l’écart constitue la trame du livre : d’un côté, le populisme qui monte, fait de haine des autres, de tentation identitaire, de fantasmagories racistes ; de l’autre côté, la cécité multiculturaliste qui détruit toute prise de conscience et toute action, en répétant que les djihadistes sont des victimes, des psychopathes isolés, ou des produits du mépris occidental, en considérant comme « réactionnaire », « fasciste » ou « islamophobe » quiconque tente de rappeler que tout n’est pas pour le mieux dans le meilleur des mondes interculturels.
Entre ces deux blocs qui conduisent au pire, l’un en se trompant de combat, l’autre en empêchant la lutte, la passe est étroite. Mais il n’y a pas d’autre chemin, pour Alexandra Laignel-Lavastine, que cette mobilisation de l’Europe contre le terrorisme islamiste – en s’armant des valeurs de la démocratie, au lieu de les brader. Le sentiment d’urgence qui anime ce livre est d’autant plus vif que ce n’est pas ce matin que la confusion s’est installée. Du 11-Septembre à la guerre d’Irak, de la Libye à l’émergence de Daech, il y a toujours de bons esprits pour expliquer que ce n’est pas une guerre, qu’il faut voir les choses autrement. Que nous sommes les premiers coupables, que les vraies causes sont économiques. Ce qui revient à chaque fois à se tirer une balle dans le pied. Jusqu’à quand ?
La Pensée égarée. Islamisme, populisme, antisémitisme : essai sur les penchants suicidaires de l’Europe, d’Alexandra Laignel-Lavastine, Grasset, 220 p., 18 €.