Quelle guerre contre Daech ?
Les experts sont divisés. Pas question, selon certains, de tomber dans le piège de combats terrestres – seules des frappes aériennes, renforcées et ciblées, seraient praticables. Impossible, selon d’autres, d’abattre l’Etat islamique sans traquer ses djihadistes un à un, rue par rue, cache par cache. Il serait urgent d’envoyer des troupes au sol en nombre suffisant. D’autres encore considèrent qu’on se trompe d’ennemi, le terrorisme à leur avis ne relevant pas d’affrontements militaires classiques mais avant tout des services de renseignement et des opérations de police. Entre guerre aérienne, guerre au sol, guerre secrète, les citoyens – qui en savent moins que les soi-disant spécialistes de tout bord – n’ont souvent que leurs préjugés pour boussole. Pourtant, à défaut de lumières particulières, un moment de bon sens peut aider à y voir clair.
Chacun sait, à présent, que Daech décapite, torture, viole, assassine, terrorise, manipule, déshumanise. Ce prétendu Etat détruit les corps, les âmes, les vestiges, les oeuvres… tout ce qui fait l’humanité. Personne ne doute plus que ce mouvement soit d’une cruauté sans bornes, d’une détermination sans faille et d’une barbarie extrême. Et tout le monde peut aisément le constater : plus le temps passe, plus Daech s’installe, s’accroît, se renforce. Plus il multiplie les atrocités. Plus il intensifie, du même coup, son pouvoir d’attraction sur les têtes brûlées. Plus il se ramifie et voit se rallier des groupes similaires, au Maghreb comme en Afrique.
A moins d’être immensément naïf, il est donc devenu impossible d’imaginer encore qu’on pourrait cantonner ce danger, délimiter son périmètre. Il n’existe aucun caisson étanche où laisser pourrir l’Etat islamique. Si on ne le combat pas, ce ne sont pas seulement des monceaux de cadavres qui continueront à s’amasser, des temples antiques qui finiront en poussière, des peuples qui seront broyés. C’est la prolifération mondiale du terrorisme, soutenue par une base arrière solide, qui engendrera partout des situations incontrôlables. Ce que le bon sens exige, c’est la destruction rapide et totale de Daech.
Car le temps joue évidemment en sa faveur. Les atermoiements, les opérations inefficaces le font prospérer et même progresser, pas à pas, dans l’installation d’un califat qui se rêve à la fois pérenne et planétaire. Plus les affrontements massifs interviendront tard, plus ils seront durs et incertains. Actuellement, défaire les 30.000 hommes de Daech – même s’ils sont bien armés, résolus, fanatisés – est plus qu’à la portée des armées adverses. Demain, s’ils sont bien plus nombreux, dispersés, mieux équipés, les opérations seront encore plus incertaines et risquées. Jusqu’au jour où, peut-être, elles ne seraient même plus envisageables. Mais, pour qu’une guerre efficace soit organisée, que d’obstacles ! Ils sont stratégiques, politiques et diplomatiques : il faut notamment un consensus européen,une coopération des pays arabes, une métamorphose de la ligne américaine… rien qui soit simple ni rapide, c’est le moins qu’on puisse dire.
Reste le plus lourd obstacle, qui se trouve dans les têtes. Il y a en effet longtemps que nous ne comprenons plus le sens de la formule de Clausewitz : « La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens. « Le pacifisme est devenu pour la plupart des Occidentaux comme une seconde nature – après deux guerres mondiales, la construction de l’Europe, le système de l’ONU. L’idée de « guerre juste « , autrefois si commune, paraît désormais étrange, inaudible, voire obscène. Nous regardons aujourd’hui les combats du XXe siècle avec un mélange d’effroi et d’incrédulité. Sans doute comprenons-nous, après coup, qu’il fut alors nécessaire d’éradiquer la barbarie, de la vaincre par les armes. Malgré tout, le lien direct avec notre présent, nous ne le voyons pas.
Pas encore. Ceux qui discernent ce lien jugent qu’on ne peut attendre, pour agir, qu’il soit trop tard. Ils ne peuvent donc se taire. Au risque de passer pour va-t-en-guerre, néocolonialistes, bellicistes aveugles et quantité de vilaines choses de ce genre. Au vu de ce qu’est Daech, de ce qu’il fait, de ce qu’il peut devenir, il semble bien qu’il n’existe pas d’autre solution que la guerre au sol. C’est la pire, évidemment. A l’exception, peut-être, de toutes les autres.