Roger-Pol Droit, parrain de la collection « Le Monde de la philosophie »
« Passeur infatigable ». Ainsi la Revue internationale de philosophie qualifiait-elle Roger-Pol Droit dans le numéro qu’elle a consacré à son œuvre en 2019. Les lecteurs du Monde en sont depuis quelques décennies les premiers bénéficiaires, puisque chaque semaine notre « Monsieur Philosophie » leur fait découvrir, dans sa chronique « Figures libres », mais aussi dans des entretiens ou des dossiers, les auteurs et les recherches qui comptent.
Ce travail singulier totalise à lui seul des milliers de pages. Il ne représente pourtant qu’une activité parmi d’autres. Car Roger-Pol Droit est autant un universitaire qu’un journaliste. Une double face rare, qui le caractérise depuis ses débuts. Quand il a publié ses premiers articles, il était encore élève de l’Ecole normale supérieure de Saint-Cloud. Agrégé de philosophie, il a été professeur en terminale avant de devenir directeur de programme au Collège international de philosophie et d’entrer comme chercheur au CNRS, tout en enseignant à Sciences Po.
Ses travaux de recherche ont porté sur la découverte du bouddhisme par les philosophes européens, sujet de sa thèse, puis sur les représentations des barbares de l’Antiquité gréco-latine à nos jours, thème de son habilitation. Ces enquêtes savantes, dans le sillage de Michel Foucault, avec qui Roger-Pol Droit a eu jadis de longs entretiens, ne forment à leur tour qu’une partie d’un ensemble bien plus vaste, constitué de plus d’une cinquantaine de volumes, traduits en une trentaine de langues.
Dans cette bibliothèque, plusieurs genres se côtoient et se répondent. A côté des ouvrages de recherche, comme Le Culte du néant. Les philosophes et le Bouddha (Seuil, 1997 ; Points, 2004) ou Généalogie des barbares (Odile Jacob, 2007), se trouvent des livres de pédagogie de différents niveaux, du plus simple, La Philosophie expliquée à ma fille (Seuil, 2004), au plus élaboré, La Compagnie des philosophes (Odile Jacob, 1998 ; Poches Odile Jacob, 2002), en passant par Une brève histoire de la philosophie (Flammarion, 2008 ; Champs 2010 ; Grand Prix du livre des professeurs et maîtres de conférences de Sciences Po).
Rendre les idées charnelles
Soucieux de relier constamment histoire de la pensée et temps présent, Roger-Pol Droit a consacré, en compagnie de Monique Atlan, une vaste enquête à l’impact des mutations techniques sur nos conceptions de l’humain (Humain, Flammarion, 2012 ; Champs, 2014). Et, pour les rendre contemporains, il n’a pas hésité à faire surgir en plein XXIe siècle Socrate et son plus fameux disciple (Et si Platon revenait…, Albin Michel, 2018 ; Espaces libres, 2020), dans un chassé-croisé doublement révélateur entre Antiquité et modernité.
Le pédagogue, chez lui, se transforme souvent en écrivain attentif à rendre les idées charnelles et à faire renaître le sens de l’étonnement par les moyens d’une pensée ludique, et de dispositifs volontairement déconcertants. Ainsi a-t-il tracé un chemin très personnel entre philosophie et poésie dans des livres comme 101 expériences de philosophie quotidienne (Odile Jacob, 2001 ; Poches Odile Jacob, 2003 ; Prix de l’essai France Télévisions, traduit en 24 langues) ou Dernières nouvelles des choses (Odile Jacob, 2003 ; Poches Odile Jacob, 2005) qu’il a adapté et joué, seul, au Théâtre du Rond-Point en 2014. Lire aussi Eternelle et actuelle, le paradoxe de la philosophie
Difficile, au bout du compte, de savoir quel est le bon profil de ce neveu de Diderot. Car on l’a vu aussi, un jour ou l’autre, patron d’une PME, conseiller du directeur de l’Unesco, membre du Comité consultatif national d’éthique, cofondateur du Forum Le Monde-Le Mans, mais aussi éditeur, consultant, chroniqueur à la radio, conférencier… et récemment romancier, avec Monsieur, je ne vous aime point, qui met en scène l’amitié impossible entre Voltaire et Rousseau (Albin Michel, 2019).
La réponse est peut-être dans ces pages où, en plusieurs occasions, il préconise une philosophie « impure », mêlée à d’autres genres, contre une discipline qui se sépare et se spécialise, au risque de se ghettoïser. Comme les auteurs des Lumières, dont le rapproche aussi son style alerte et élégant, Roger-Pol Droit ne cesse de passer d’un registre à un autre. Avec un bonheur communicatif.