Louise Dupin, pour l’égalité des sexes au siècle des Lumières
Le siècle des Lumières ne manque certes pas de femmes philosophes. Emilie du Châtelet (1706-1749) traduit et explique Newton, tout en méditant sur le bonheur. Madame du Deffand (1696-1780) entretient une abondante correspondance avec les plus grands hommes d’idées. Louise d’Epinay (1726-1783) rivalise avec Rousseau d’invention pédagogique dans Les conversations d’Emilie. Olympe de Gouges (1748-1793) s’illustre dans la défense des droits des femmes. Parmi bien d’autres intellectuelles, solitaires ou mondaines. Dans cette constellation, de mieux en mieux explorée, une étoile presque oubliée est en passe de renaître.
Louise Dupin (1706-1799) n’est pas une inconnue. Les historiens du XVIIIe siècle la mentionnent à propos des salons, des mœurs, des mouvements d’idées, où elle tient un rôle stratégique. Fille d’une actrice célèbre en son temps, Manon Daucourt, et de Samuel Bernard, grand banquier qui fut son amant, Louise reçoit la meilleure éducation possible. Elevée en jeune fille accomplie, elle brille de mille feux. L’immense fortune acquise par son mari, Claude Dupin, devenu fermier général, lui permet de partager sn temps entre l’un des plus beaux lieux de Paris, l’hôtel Lambert, dans l’île Saint-Louis, et le château de Chenonceau, sa résidence secondaire.
Richissime, bellissime, savantissime, d’une intelligence aiguë, elle exerce une influence discrète mais réelle sur la vie intellectuelle de l’époque. Son salon accueille Marivaux, Condillac, Montesquieu, Grimm. Sa table rassemble Buffon, Fontenelle, l’Abbé de Saint-Pierre, sans oublier le grand Voltaire. Son secrétaire particulier, pendant presque une dizaine d’années, est un jeune homme doué qui cherche à se faire connaître – un certain Jean-Jacques Rousseau, qui l’assiste dans ses recherches.
En effet, bien qu’on l’ait méconnu, Louise Dupin ne fut pas simplement plaque tournante des réputations et prêtresse souriante des mondanités. Elle a travaillé longuement, avec ténacité, à un projet colossal, à la fois philosophique et historique : une histoire générale des femmes, de leur place dans la société et dans l’imaginaire collectif. Cette somme encyclopédique avait pour objectif d’établir la complète égalité naturelle existant entre femmes et hommes, afin de délégitimer une domination masculine abusive, infondée, indéfendable. Ceci alors même que les hommes des Lumières étaient fort loin, pour la plupart, de soutenir pareilles positions.
Malheureusement, Louise Dupin préféra ne jamais publier son livre. Le manuscrit, demeuré dans ses archives, fut dispersé aux enchères. Heureusement, Frédéric Marty, s’est consacré à sa reconstitution et sa réédition. En attendant la publication du texte complet des 47 articles de cet ouvrage pionnier, prévue aux éditions Classiques Garnier, on pourra lire, dès la rentrée, l’intéressant Discours préliminaire qui lui sert d’introduction générale, publié pour la première fois, dans la Petite Bibliothèque Payot.
Ce qui heurte la raison, proclame Louise Dupin, c’est qu’on dise partout tant de mal des femmes sans pouvoir en produire nulle part les preuves. Si l’on écarte illusions et préjugés, impossible de trouver le moindre distinguo entre les sexes. « Il y a peut-être entre les hommes et les femmes une différence, mais elle n’est pas connue, faute d’avoir été observée » finit-elle par conclure, non sans avoir, au passage, brocardé les philosophes en épinglant quelques-unes des « extravagances que les plus sages ont dit sur les femmes«
Cette œuvre ambitieuse et méconnu est à découvrir. Pour l’actualité qu’elle conserve tout autant que pour son importance historique. Elle devrait permettre à cette philosophe de sortir de l’ombre. Louis Dupin avait choisi de « ne pas occuper dans la république des lettres la place qu’elle méritait » comme dira son arrière-petite-fille, Aurore Dupin, plus connue sous le nom de George Sand. Cette place, il serait temps de la lui reconnaître.
A lire :
- Frédéric Marty, Louise Dupin. Défendre l’égalité des sexes en 1750 (Classiques Garnier, 2021)
- Louise Dupin, Des femmes. Discours préliminaire. Edition établie, annotée et présentée par Frédéric Marty. Petite Bibliothèque Payot/ Classiques, 120 p., 8 € (en librairie le 31 août)