Le philosophe Dominique Lecourt est mort
Né le 5 février 1944 à Paris, le philosophe Dominique Lecourt est mort, le 1er mai, à l’hôpital Lariboisière, à Paris. Avec lui disparaît l’auteur d’une œuvre abondante, forte d’une quarantaine de volumes, principalement centrée sur les relations entre la philosophie et la pensée scientifique ou la pensée médicale, mais aussi une figure de l’édition et des institutions culturelles qui a marqué de son empreinte ces dernières décennies.
C’est auprès de trois philosophes principaux que s’est formé le normalien de la rue d’Ulm. Louis Althusser fut son maître à l’Ecole normale supérieure, ce qui le conduisit d’abord à s’engager un temps dans le combat des maoïstes dans les années 1960-1970, et plus tard à devenir le représentant légal de Louis Althusser, après le meurtre de son épouse en 1980. Georges Canguilhem, médecin et philosophe, dirigea son mémoire sur L’Epistémologie historique de Gaston Bachelard et présenta ce premier livre, publié chez Vrin en 1969. Enfin, François Dagognet, médecin et philosophe lui aussi, dirigea sa thèse, L’Ordre et les jeux, publiée chez Grasset en 1981.
Le principal souci de Dominique Lecourt, qui s’exprimera sous différentes formes au fil de ses ouvrages, fut d’analyser les relations entre les connaissances et la société actuelle, en tentant de les rectifier. Dans le sillage de Bachelard et de Canguilhem, il était en effet attentif à déjouer les malentendus, les pièges idéologiques, les exploitations politiques ou religieuses des savoirs, dont le monde est aujourd’hui, plus que jamais, le théâtre. Dans cet esprit, il étudia notamment la querelle du créationnisme (L’Amérique entre la Bible et Darwin, PUF, 1992) et s’insurgea contre les méfaits du catastrophisme et des apocalypses technophobes, dès 1990 avec Contre la peur (PUF), et de nouveau en 2009 avec L’Age de la peur (Bayard).
Infléchir le cours des idées
Une autre facette de cette volonté d’action le conduisit à élaborer des outils pédagogiques, notamment plusieurs « Que sais-je ? » et plusieurs encyclopédies et dictionnaires, maintes fois réédités au format de poche, comme l’Encyclopédie des sciences (Livre de poche, 1998), le Dictionnaire d’histoire et philosophie des sciences (PUF, 1999) ou le Dictionnaire de la pensée médicale (PUF, 2004). Le pamphlet n’était pas non plus pour lui déplaire, comme l’a montré son attaque contre les « philosophes médiatiques », qui n’étaient selon lui, en comparaison de leurs aînés, que de Piètres Penseurs (Flammarion, 1999).
De mille façons, Dominique Lecourt s’est en fait voulu un défenseur de la philosophie, de ses singularités comme de ses capacités d’action. Cela l’incita à concevoir et à fonder en 1984, avec François Châtelet, Jean-Pierre Faye et Jacques Derrida, le Collège international de philosophie, institution atypique. Cette même volonté l’engagea ensuite dans de multiples activités institutionnelles, au sein notamment de l’enseignement à distance, du CNRS, de l’Observatoire du principe de précaution.
Sa présence active dans l’édition s’explique par cette même exigence de ne pas négliger la diffusion des idées et de contribuer à en infléchir le cours. Directeur avec Etienne Balibar de la collection « Pratiques théoriques », puis de la collection « Science, histoire et société » aux Presses universitaires de France, il préside le conseil de surveillance de cette maison de 2001 à 2014.
Somme toute, il y avait du Diderot chez cet encyclopédiste qui se voulait ami des Lumières contemporaines. Il avait d’ailleurs consacré un ouvrage à ce philosophe (Diderot. Passions, sexe et raison, PUF, 2013) et présidé l’association Diderot (1984-2004), avant de fonder le think thank Institut Diderot, dont il fut le directeur général.
Devant l’ampleur de cette activité d’auteur, d’éditeur et d’organisateur, peut-être faut-il songer au modèle de philosophe, quelque peu oublié, fourni par l’école des idéologues. Desttut de Tracy, Cabanis, Jean-Baptiste Say s’employèrent, après la Révolution française, à construire la République en se préoccupant d’enseignement et d’institutions culturelles autant que de savoir scientifique et médical. En un sens, Dominique Lecourt fut leur descendant dans un monde différent.
Dominique Lecourt en quelques dates
5 février 1944 Naissance à Paris
1969 Publie « L’Epistémologie historique de Gaston Bachelard » (Vrin)
1981 Publie « L’Ordre et les jeux » (Grasset)
1999 Publie « Dictionnaire d’histoire et philosophie des sciences » (PUF)
2001-2014 Préside le conseil de surveillance des Presses universitaires de France
1er mai 2022 Mort à Paris