« Vertige du cosmos », de Trinh Xuan Thuan
OBSERVER LE CIEL SUFFIRAIT-IL À TOUT ?
Etre sidéré par les étoiles, voilà un pléonasme. Sidera, en effet, ce sont les « corps célestes », en latin. Toute « sidération » parle donc, même sans le savoir, de cet ébahissement premier qui saisit tout être humain à la contemplation d’une nuit étoilée. Cette extase originaire, ce vertige inaugural, est peut-être la ligne de partage la plus simple entre espèces animales et espèce humaine. Nous sommes les seuls animaux qui observent le ciel et scrutent sans fin les galaxies. A tout le moins, il n’y a que les imaginations humaines pour édifier, à propos de ce spectacle émerveillant, cette farandole de mythes, d’observations et de théories qui peuplent les siècles et les continents.
Vertige du cosmos, dont l’astrophysicien Trinh Xuan Thuan retrace la profondeur de champ et l’histoire multimillénaire, commence en même temps que l’aventure humaine. En Egypte, en Mésopotamie, en Inde, en Chine, en Afrique, aussi bien que chez les Celtes, Homo sapiens observe les astres, construit des dispositifs ingénieux et des récits explicatifs. Partout, le cosmos ouvre sur le sacré, l’infini sur le mystère. Le plus étonnant, sans doute, est que la science moderne n’y change rien. Certes, de la lunette de Galilée à Hubble, de Newton à Einstein, les outils d’observation n’ont plus rien de commun avec ceux des mondes antiques, les modèles mathématiques et les théories sont sans rapport avec les vieux mythes cosmogoniques. Malgré tout, la sidération demeure, entre vertige et enthousiasme, mêlant terreur secrète et contemplation aiguë.
Dimensions spirituelles et métaphysiques
Pour parcourir ce labyrinthe où s’entrecroisent, des premiers siècles aux dernières hypothèses, l’histoire des civilisations, celle des sciences et celle des spiritualités, il est difficile de trouver meilleur guide que Trinh Xuan Thuan. Né au Vietnam, formé aux Etats-Unis, professeur à l’université de Virginie et chercheur à l’Institut d’astrophysique de Paris, il est bien connu pour la série de livres – presque une vingtaine – qu’il a publiés depuis La Mélodie secrète (Fayard, 1988) et qui lui ont valu une série de prix. Les axes de ses ouvrages sont toujours les mêmes : expliquer clairement notions et hypothèses des sciences, insister sur leur compatibilité avec les dimensions spirituelles et métaphysiques. Vertige du cosmos s’inscrit dans cette continuité. A tel point qu’on peut se demander, avant de l’ouvrir, ce qu’il apporte de neuf.
On oublie cette question dès qu’on se plonge dans le texte. Parce qu’on se trouve emporté aussitôt par le talent du conteur, la luminosité du pédagogue, l’honnêteté du sage. Trinh Xuan Thuan résume clairement de vastes pans d’histoire, expose au néophyte des hypothèses aussi complexes que celle des « plurivers », aujourd’hui en vogue, selon laquelle des kyrielles de mondes parallèles inaccessibles coexistent avec celui que nous connaissons. Le savant ne cache pas son scepticisme, dans la mesure où aucune de ces hypothèses n’est testable expérimentalement. Mais le contemplateur ne dissimule pas non plus ses convictions. Il demeure persuadé que l’univers a un sens, répond à un dessein, s’adresse à nous. La transcendance fait bon ménage, à ses yeux, avec l’observation du ciel. Ce penseur ne cherche pas à imposer quoi que ce soit à ses lecteurs. Il préfère suggérer, évoquer, laisser chacun libre de son chemin. Sidérant…