« Erba volant », de Renato Bruni
Quel est le vrai métier de Renato Bruni ? Difficile à cerner. Dans le civil, si l’on peut dire, il est professeur de botanique à l’université de Parme, en Italie. Dans Erba volant, texte insolite et instructif, il travaille pour une agence de projets industriels. Sa mission : répondre aux demandes pressantes de firmes ayant à résoudre des problèmes fort singuliers – trouver de l’eau là où il n’y en a pas, purifier l’air sans installer de machine, concevoir un ventilateur parfaitement silencieux. Chaque semaine lui tombent dessus de nouvelles missions impossibles.
Alors, pour trouver des solutions, il convoque des plantes, les interroge, les fait parler. Car Renato Bruni est devenu bilingue. Il traduit le langage des espèces végétales à l’usage de l’espèce humaine. Inversement, il soumet aux végétaux les dilemmes qui taraudent ses clients. En fait, son credo se révèle à la fois simple et sophistiqué. Conviction de base : au long d’une évolution de plus de 3 milliards d’années, les plantes ont été confrontées à des myriades de situations pour lesquelles elles ont forgé des solutions pratiques sur mesure. Sans bureau d’ingénieurs, sans plan préétabli, sans intelligence conceptuelle ni outil théorique, elles ont surmonté d’invraisemblables obstacles, relevé d’incroyables défis.
En les « cuisinant » comme il faut, il est possible de les faire avouer. De leur faire dévoiler leurs astuces, secrets et trésors cachés. Dans le but, cela va de soi, de leur chiper ces procédés en imitant leurs techniques. On découvrira ainsi, au terme de quelques dialogues homme-plantes, d’astucieux dispositifs pour retenir l’eau ou pour la faire glisser, pour éliminer le dioxyde de carbone, diffuser des alertes en cas d’urgence, fabriquer des leurres pour l’armée, édifier des bâtiments antisismiques… Entre autres. Car les dossiers sont nombreux, et plus encore les graines, racines, tubercules et rhizomes qu’interroge sans cesse Renato Bruni, avec empathie, mais sans complaisance.
Une mutation philosophique
Sa fonction officielle : expert en biomimétisme. Cette discipline en expansion étudie ce que nos techniques peuvent emprunter aux structures et fonctionnements du vivant. Hybrides de botanistes (ou de zoologistes) et d’ingénieurs, les biomiméticiens sont des explorateurs atypiques tâtonnant dans un bric-à-brac d’observations, d’expériences et d’intuitions. Mais pas seulement. Une mutation philosophique est à l’œuvre dans leur regard. Au lieu de concevoir la vie uniquement comme animale, ils rendent aux plantes leur place et leur dignité dans le concert du monde.
On les a longtemps oubliées, négligeant leur inventivité, jugeant inférieur leur registre d’existence. Et un mouvement de fond s’est engagé récemment pour explorer le végétal et sa complexité. Le philosophe Emanuele Coccia, auteur notamment de La Vie des plantes (Rivages, 2016), qui préface ce volume, en est une figure centrale. Le changement de perspective est vaste : il s’agit à la fois de réhabiliter une face cachée du vivant et de transformer notre rapport de domination en une relation de coopération et d’inclusion. Les récits amusants et instructifs de Renato Bruni font comprendre comment se conjuguent ici questions techniques et pratiques, exigences scientifiques, philosophiques, écologiques. Son vrai métier ? Pédagogue.