La chronique de Roger-Pol Droit. Augustin sous le sapin
S’il vous manque encore un cadeau de Noël, saint Augustin (354-430) pourrait être une solution. Nombre d’arguments plaident en sa faveur : valeur sûre de l’histoire, indispensable référence culturelle, style fulgurant et accessible… Et son influence en déclin rendra le présent original et inattendu. Dès lors, comment ne pas se précipiter sur ces deux lourds volumes, bien imprimés, sobrement toilés de gris anthracite, solidement reliés, sous coffret ? Ces Œuvres philosophiques complètes, voilà un présent idéal.
Pour qui ? On n’a que l’embarras du choix. On offrira ces volumes, par exemple, à des musiciens (pour le substantiel et méconnu Traité de la musique), à des libertins (afin qu’ils découvrent une face étrange du monde en lisant De la continence), à de jeunes couples (qui s’instruiront avec De ce qui est bien dans le mariage), à des goinfres, ou à des amateurs de détox (qui goûteront le petit traité De l’utilité du jeûne). Laissez tomber claviers électroniques, sex-toys, robots cuiseurs, manuel de diététique. Offrir Augustin suffit. Il remplace tout et convient à tous.
D’autant qu’il a de singuliers mérites. Il fait craindre l’enfer. Ce qui est fort utile, car le châtiment corporel infini a une fâcheuse tendance à ne plus terroriser grand monde. L’évêque d’Hippone, lui, brandit toujours, sous les yeux du lecteur incrédule, le spectre de la « souffrance éternelle comme celui qui l’inflige, comme celui qui la subit ». Malheur à qui ne se convertit pas ! Article réservé à nos abonnés
Le Docteur a mille autres avantages. Ainsi explique-t-il pourquoi les démons peuvent prédire l’avenir. La question taraude tant de gens que c’est un bienfait de découvrir la cause de ce superpouvoir. La voici : chez les démons, le corps « aérien jouit d’une sensibilité supérieure à celle des corps terrestres » et sa mobilité « l’emporte incomparablement sur le vol des oiseaux même ». On ne voit pas bien pourquoi ces qualités rendent les démons capables de voir l’avenir, mais le souligner serait faire preuve de mauvais esprit.
Prédications dogmatiques
Plus on lira, plus on sera perplexe sur le titre de l’ensemble : Œuvres philosophiques complètes. Certes, Les Confessions, La Cité de Dieu, La Trinité ne sont pas étrangers à l’histoire des concepts. Le temps, la subjectivité, la transcendance, le politique – notamment – y sont reconfigurés. Mais, dans cet ensemble d’œuvres dites « philosophiques » – parce qu’il écarte les sermons et les multiples traités contre les hérésies –, se trouvent quantité de prédications dogmatiques qui relèvent de l’endoctrinement religieux plus que de la philosophie, si elle signifie exercice critique.
A l’exception du texte des Confessions, le choix a été opéré intégralement dans l’édition des Œuvres complètes en 17 volumes, publiées à Bar-le-Duc entre 1864 et 1873 sous la direction de Jean-Joseph-François Poujoulat, royaliste virulent, et de l’abbé Jean-Baptiste Raulx, polémiste catholique. Remettre en circulation ces traductions du XIXe siècle est certes commode, mais pas sans inconvénient. De même que lire Platon traduit par Victor Cousin ou Aristote traduit par Jules Barthélemy-Saint-Hilaire entraîne sur d’autres chemins – métaphysiques et moraux – que de fréquenter leurs œuvres complètes dans leurs traductions françaises contemporaines.
Il s’agit donc effectivement d’un cadeau de fin d’année. Coûteux, bien présenté. Utile ? C’est à voir.
Lire un extrait sur le site des éditions Les Belles Lettres.