Le consentement n’est pas le désir
Partout, en ce moment, il est question du consentement. Les Paradise Papers ébranlent, dit-on, le consentement à l’impôt. Au commissariat, le policier demande à la femme venue déposer plainte pour viol si elle a pu laisser croire à son consentement. A l’hôpital, il faut le consentement d’un patient, ou celui de sa famille, pour arrêter un traitement, entamer des soins palliatifs, prélever des organes. Au gouvernement, on juge difficile de mener à bien une politique sans le consentement du peuple. Ces exemples dissemblables mettent en jeu des acceptions distinctes de la notion de consentement. Elle paraît simple, mais ne l’est pas vraiment. Car un piège s’y est désormais installé. Il est insidieux, et de plus en plus actif. Le démonter est urgent.
Le noyau de sens, commun aux différentes formes de consentement, est facile à saisir. Toujours, il s’agit d’un accord. Explicite ou tacite, le consentement marque l’acceptation. Il vaut permission, il donne autorisation… Descartes, dans ses Principes de philosophie (1647) en faisait même l’élément central de toute décision. Selon lui, avant que notre volonté dise « oui » ou « non », avant donc de donner ou de refuser notre consentement, nous devons d’abord avoir bien compris. Il faut pouvoir discerner de manière « claire et distincte » les éléments d’une situation –d’un contrat, d’une proposition…. – pour être en mesure, en pleine connaissance de cause, d’accepter ou pas. Pourtant, « bien souvent nous donnons notre consentement à des choses dont nous n’avons jamais eu qu’une connaissance fort confuse » souligne Descartes. En acquiesçant ainsi à ce que nous n’avons pas réellement compris, nous nous exposons évidemment à tous les désagréments possibles…
Les conditions requises sont donc sans ambiguïté. Tout consentement exige une information complète et véridique, la capacité de la comprendre, et une volonté libre et souveraine, capable d’acquiescer ou de refuser. Dès qu’il y a tromperie, incapacité à comprendre ou contrainte par la force, le consentement devient impossible, ou se trouve nul et non avenu. Ces principes de base commandent en démocratie les pratiques juridiques, fiscales, politiques. De l’impôt jusqu’au harcèlement sexuel, de l’éthique médicale jusqu’aux fractures politiques, on comprend donc l’omniprésence, dans notre actualité, du consentement et des questions qu’il peut soulever. Où donc est le piège ?
Dans la confusion, de plus en plus fréquente, entre consentement et désir. Elle s’est installée subrepticement et nous porte à considérer, à tort, que consentir reviendrait à vouloir ardemment. Pourtant, le consentement se réduit presque toujours à une sorte d’acquiescement passif. Même s’il est « libre », « éclairé », « informé » etc., il dit « oui », le plus souvent, à ce qu’il est très difficile, sinon impossible, de refuser. Or cette forme de résignation raisonnable n’a rigoureusement rien à voir avec un désir positif et affirmé.
Ainsi les citoyens acceptent-ils les impôts parce qu’ils en comprennent l’usage, et pas du tout parce qu’ils ont le désir d’être taxés ! De la même manière, autoriser un don d’organe ou un arrêt de soins n’est absolument pas équivalent à en avoir envie. Accepter une politique, et même la mettre en oeuvre, n’implique pas nécessairement qu’on y adhère avec ferveur ni qu’elle suscite l’enthousiasme !
Cette distinction fondamentale est plus visible encore dans de domaine sexuel. Parce que le consentement s’oppose au viol, il finit actuellement par paraître équivalent au désir – ce qui est manifestement faux. Une personne qui « consent » seulement à une relation sexuelle ne la désire pas à proprement parler. Le consentement est une chose, le désir une autre. Le consentement ne fait qu’accepter, alors que le désir s’affirme, s’active, réclame, exige, invente… Qu’on se souvienne du Banquet de Platon. Diotime, la prêtresse que Socrate dit admirer, explique comment Eros est toujours en manque, et même temps toujours inventif, en train d’échafauder mille ruses et mille expédients pour parvenir à ses fins. A la relative passivité du consentement, il faut opposer l’activité et l’inventivité du désir.
Bien entendu, le consentement demeure une règle essentielle pour toutes les libertés. Il est indispensable de l’exiger et de le protéger. Mais il devient également indispensable, désormais, de rappeler qu’il ne doit pas être confondu avec le désir.