Tous migrants, tous sang-mêlé
Inutile d’expliquer : « les migrants », question cruciale de notre époque, chacun sait. L’Europe les voit arriver, d’année en année, en nombre croissant. Du fait des guerres, des dictatures, des chaos politiques, du fanatisme religieux, du fait aussi de la misère et du désespoir… Et « les migrants » ne soulèvent pas « une question ». Ils suscitent un entrelacs d’interrogations et d’attitudes qui juxtaposent ou combinent l’humanitaire et le politique, l’économique et l’idéologique, la générosité et l’égoïsme, la crispation et l’hospitalité. Sans oublier les fantasmes d’invasion, de hordes barbares, de sang impur… Pourtant, depuis l’aube de l’humanité, des groupes n’ont cessé de bouger, les populations de se mélanger, les sociétés de se transformer. Pour mieux le comprendre, saisir l’ampleur et la diversité de ces mouvements, les pièges à éviter, il n’est pas inutile de rassembler quelques leçons de l’archéologie.
C’est ce que fait l’intéressant volume collectif publié sous la direction de Dominique Garcia, directeur de l’Institut de recherches archéologiques préventives, et de Hervé Le Bras, démographe, directeur d’études à l’EHESS. Cette Archéologie des migrations, réunit vingt-cinq études, issues d’un colloque tenu à Paris en 2015. Parmi les auteurs, des paléontologues, des historiens comme Jean-Paul Demoule ou Bruno Dumézil, mais aussi des sociologues, des anthropologues et même… des archéologues. Ceux-ci conduisent des chantiers de fouilles, et les vestiges qu’ils exhument, apprennent beaucoup des périples anciens – à condition de parvenir à les interpréter pertinemment. Cette archéologie au sens propre se révèle ainsi inséparable de l’archéologie au sens figuré, celle qui la genèse des représentations, les conditions historiques de la connaissance, l’émergence et le contenu des concepts.
L’ensemble ne se résume pas. On y glane quantité d’informations et de réflexions embrassant un arc temporel considérable, qui va des premiers peuplements de l’Europe aux migrants actuels, voire au paysage de demain, en passant notamment par la protohistoire, les Celtes, les Grecs, l’Empire romain, les prétendues « invasions » barbares… et quelques autres. L’orbe spatiale n’est pas moins vaste, puisqu’elle ne se limite pas au vieux continent mais touche à l’Afrique, à l’Océanie, au monde arabe. Rien de mieux pour donner aux images de l’actualité une profondeur de champ qui leur fait trop souvent défaut.
De cet ensemble polyphonique, je retiens pour ma part trois idées simples. D’abord ce constat : l’humain est bien « le seul singe migrateur » (Pascal Picq). A partir de quelques foyers d’émergence, il a peuplé la planète en se déplaçant au fil des millénaires. En ce sens, nous sommes tous enfants de migrants. Ensuite, on ne doit jamais oublier que ces brassages innombrables ont produit un arlequin génétique. Ce patchwork rend vaines les fantasmagories sur les races et la pureté du sang. Nous sommes tous des sang-mêlé, c’est ce qu’enseigne la génétique des populations. Enfin, il est important de garder en tête la double face de nos représentations : les étrangers sont perçus comme menace quand ils viennent chez nous, nous nous imaginons comme un bienfait quand nous allons chez eux, colonisateurs, touristes ou investisseurs… Trois leçons déjà connues, certes. Mais bonnes à rappeler.
ARCHÉOLOGIE DES MIGRATIONS
Sous la direction de Dominique Garcia et Hervé Le Bras
La Découverte-Inrap, 392 p., 24 €