Présidentielles : à chacun son système
Surtout, ne pas être dans le système ! S’afficher candidat de la rupture et du renouvellement. Se faire autant que possible champion de l’anti-système. Depuis des mois, au fil de cette longue campagne, c’est devenu la consigne, le mot d’ordre obligé. L’enfer, ce serait le système, celui que les autres incarnent et perpétuent – réminiscence de Sartre, dans Huis Clos : « l’enfer, c’est les autres ». Il faudrait donc échapper, à tout prix, aux impasses, pièges et maléfices du système. Mais qu’appelle-t-on ainsi ? Cette notion semble évidente, elle ne l’est pas. Ce terme est partout, son sens n’est nulle part.
Bien sûr, on exhibera facilement sa signification courante : un ensemble de connivences, supposées relier intimement partis politiques, médias, finances, élites. Appartiendrait à ce « système » ce qui relève des institutions en place, qu’elles soient politiques, financières, médiatiques. Jean-Marie Le Pen parlait autrefois de « l’établissement », en recyclant un vieux discours « dégagiste » développé à l’extrême-droite au temps de l’affaire Stavisky et du 6 février 1934. Ceux qui détiennent les pouvoirs sont alors supposés corrompus, donc à balayer. « Tous copains, tous coquins », « tous pourris », tous mêlés aux « effroyables scandales qui condamnent aujourd’hui le système de ceux qui en vivent. » Cette phrase de 1934, signée à l’époque du « Front universitaire », figurerait sans peine sur des tracts d’aujourd’hui, émanant de plusieurs côtés.
Car cette image du « système » s’est diffusée. Elle s’est insidieusement répandue, faisant presque oublier ses origines anti-républicaines. Banalisé, le terme oppose ceux « du dedans » – nantis, complices, profiteurs… – et ceux « du dehors » – oubliés, laissés pour compte, contraints, pour se faire entendre et respecter, de renverser l’édifice et de tout chambouler. C’est précisément là que réside un piège, la confusion dangereuse de registres qui doivent au contraire être distingués. Il est vrai que certains sont privilégiés et favorisés, d’autres négligés et oubliés. Mais leur opposition est forcément celle de deux systèmes antagonistes, pas d’un système et de son extérieur. Sinon, l’usage même de la notion se trouve faussé. Or ce n’est pas une notion si simple.
Des systèmes, en effet, il y en a de toutes sortes. Dénominateur commun : une configuration d’éléments interdépendants, liés, formant un tout. Correspondent à cette définition le système solaire aussi bien que le système cérébral, les systèmes de parenté de toutes les sociétés, les systèmes de sons de toutes les langues, les systèmes formels des mathématiciens, les systèmes de valeurs et les systèmes moraux. On ne saurait oublier les systèmes philosophiques – modèle perfectionné par Descartes, Spinoza, Leibniz, critiqué par Condillac, sublimé par Hegel… – qui construisent un château de concepts sur un socle de principes supposés universels. A l’intérieur de cette galaxie, quantité de nuances existent. D’Alembert opposait par exemple « l’esprit systématique », qui rend fécondes les investigations rationnelles, à « l’esprit de système », qui stérilise la recherche par son dogmatisme rigide. A cette diversité, il faudrait encore y ajouter les registres économiques, politiques, sociaux : systèmes bancaires et systèmes de soins, systèmes monétaires, etc.
L’important à souligner, c’est qu’on trouve ici de tout… sauf du dehors ! Ce qui s’oppose à un système, c’est toujours un autre système ! C’est pourquoi il est vain de parler de candidats ou de politiques qui seraient « du système » tandis que d’autres seraient « en dehors ». S’affrontent des systèmes d’idées, des systèmes de valeurs, des systèmes de représentations. Système contre système. Mondialistes contre nationalistes, multiculturalistes contre identitaires, européanistes contre souverainistes, libéraux contre dirigistes, etc… Ces configurations sont toutes systémiques. Arrêtons de diaboliser la notion de système, abandonnons son usage hérité de la propagande réactionnaire. Ceux qui s’en prennent aujourd’hui au « système » en défendent un autre. Ils ne sont donc nullement « hors système », car personne ne peut l’être, à proprement parler. Loin d’être dépourvus de système, ceux qui le dénoncent le font toujours au nom d’un ensemble d’idées reliées entre elles. Voilà les évidences ce qu’il faut rappeler… systématiquement.