Que toute chrétienne soit voilée !
Pas question, pour une femme chrétienne, de sortir tête nue, cheveux visibles. « Qui que vous soyez, mère, sœur, fille, épouse, voilez votre tête. ( … ) Revêtez-vous des armes de la pudeur ; dressez devant vous le rempart de la modestie ; environnez enfin votre personne d’une muraille qui arrête vos propres regards ainsi que les regards d’autrui. » Et cela est valable partout, tout le temps : « ne vous affranchissez jamais de la discipline du voile, pas même un seul moment. ». En outre, le voile sera intégral. Les chrétiennes doivent prendre pour modèles « les femmes de l’Arabie (…) qui, non contentes de se voiler la tête, se couvrent aussi le visage tout entier, de sorte que, ne laissant d’ouverture que pour un œil, elles aiment mieux renoncer à la moitié de la lumière que de prostituer leur visage tout entier ».
Ainsi parlait Tertullien, premier Père de l’Eglise (155 env.- 225 env.), dans un de ses 31 traités rédigé en latin, Du Voile des vierges (De Virginibus velandis). Cette nécessité du voile lui paraît si impérieuse qu’il y revient dans plusieurs autres livres – De Corona, De Oratione, Contre Marcion. A cette époque, des siècles avant la naissance du prophète Mahomet, l’Islam n’existait pas encore, mais les femmes arabes se voilaient déjà. Et Tertullien juge indispensable que toutes les chrétiennes en fassent autant. S’il faut soustraire leur corps aux regards, c’est parce qu’elles ont séduit les anges et causé leur perte, argument déjà présent chez Paul de Tarse.
Il faut dire que ce bouillant chrétien carthaginois, grand polémiste et grand styliste, n’y allait pas de main morte dans le rigorisme de la pureté des mœurs. Il interdit les spectacles, théâtre comme jeux du cirque, préconise jeûne sur jeûne, décrète abject et adultère tout mariage en secondes noces, ne jure que par la monogamie, érige la chasteté en vertu suprême, et recommande chaudement de mourir en martyr. Bref, tout ce qu’on aime. D’autant plus que l’homme est savant, intelligent, cultivé, brillant… autant qu’il est fanatique, ce qui n’est pas peu dire. Il argumente donc contre les hérétiques, forge les armes de l’apologétique, pourfend les tièdes, les traîtres, les égarés. Emporté par son élan, ce converti tardif finira même par pourfendre l’Eglise catholique, pour cause de corruption et de mollesse. Il rejoindra finalement les rangs des « montanistes », une secte qui n’aimait pas le laisser-aller.
On l’aura compris : lire Tertullien est inquiétant et amusant, intéressant aussi, pas vraiment indispensable. On doit donc se demander quelle mouche a piqué les Belles Lettres, éditeur remarquable et sérieux, pour publier ces coûteuses Œuvres complètes en un volume. C’est curieux, car cette même traduction de Tertullien, fort ancienne, rédigée par l’abbé Antoine-Eugène de Génoude (1792-1849) est depuis longtemps accessible gratuitement sur Internet, et largement dépassée par les nombreuses traductions du XXe siècle, parues notamment dans la collection « Sources chrétiennes » des éditions du Cerf. Ce qui est plus curieux encore, c’est que nulle part, dans ce volume, n’est mentionnée la date de la traduction reprise, dont la dernière édition est de 1852. Le lecteur naïf pourra donc croire à du neuf, alors qu’on lui vend, sans le lui dire, une belle infidèle du XIXe siècle. Inutile de se voiler la face : ceci n’est pas très catholique…
ŒUVRES COMPLÈTES
de Tertullien
Les Belles Lettres, « Les classiques favoris », 1168 p., 69 €