Nietzsche, de « A » à « W » seulement
Quel Nietzsche ? L’écrivain, le poète, le philosophe ? Le voyageur, le prophète, l’homme masqué même à visage découvert ? Ou le marcheur de Sils-Maria, l’amoureux des Grecs, le musicien subtil ? Ou encore le grandiloquent qui affirme être de la dynamite, le délirant qui signe Dionysos ? Tous, évidemment, et cent autres, sont évoqués, mot par mot, dans ce Dictionnaire Nietzsche. Sans oublier le piéton de Nice, de Gênes, de Turin. Ni le lecteur de Démocrite et de de Paul Bourget, de Voltaire et de Schopenhauer. Sans omettre non plus tout ce qu’il a bouleversé : valeurs, métaphysique, vérité, science… entre autres. En intégrant bien sûr les grands mots-clés (devenir, nihilisme, surhumain, etc.), mais aussi les querelles de son temps, aussi bien que les relectures multiples, jusqu’à nos jours (notamment par Foucault, Deleuze, Derrida) de cette œuvre sans système.
Tel est le projet, aussi démesuré que Nietzsche, de ce fort volume publié ans la collection « Bouquins » sous la direction de Dorian Astor, à qui l’on doit déjà plusieurs essais remarquables sur ce diable-penseur. Pas moins de 400 entrées, rédigées par trente experts issus d’une douzaine de pays : l’ensemble est impressionnant par son ampleur et sa diversité. Et par son ambition. Car ce dictionnaire veut tout : exposer les points de départ, aider à lire, expliquer les conflits d’interprétations, s’adresser aux débutants, aux amateurs éclairés, aux spécialistes… Il s’applique à traiter des concepts de Nietzsche, des auteurs qu’il interprète, des amis qu’il fréquente tout autant que des manières dont on l’a compris ou non. Voilà qui fait beaucoup. Le résultat est utile, évidemment. Passionnant parfois, inégal toujours.
Cette inégalité provient du fait que s’entrecroisent une trentaine de contributeurs dont les regards, choix et partis pris ne sont évidemment pas uniformes. Cette disparité se trouve accrue par la juxtaposition délibérée d’entrées relevant de catégories disparates. Ainsi, pour la seule lettre « A », cohabitent œuvres de Nietzsche (Ainsi parlait Zarathoustra, Antéchrist, Aurore), concepts qu’il forge ou renouvelle (affirmation, altruisme, art, athéisme), auteurs dont il parle (Aristophane), figures qu’il utilise (Apollon), mais aussi femme qu’il aime (Andréas-Salomé, Lou), auteur qui rédige sa première biographie (Andler, Charles)… De quoi avoir le tournis, si on voulait tout lire à la suite ! Heureusement, ce n’est pas d’usage, avec un dictionnaire. Celui-ci, premier du genre, rendra quantité de services, car de multiples citations, références bibliographiques et renvois internes permettent d’innombrables circulations.
L’étonnant, malgré tout, est de constater que la toute dernière entrée – après Cosima Wagner, Richard Wagner, Max Weber – est un W, celui de Wilamowitz-Mollendorff, ce philologue allemand rigoriste qui fustigea les libertés prises par Nietzsche avec l’histoire et les textes dans Naissance de la tragédie. Mais où sont donc passées le X, où l’on eût pu trouver Xanthippe, l’épouse acariâtre de Socrate et Xénophon, et surtout le Z ? Si Zarathoustra est traité ailleurs, on attendait des entrées « zoroastrisme », pour préciser la source et sa transformation, mais également « Zèle », « Zénon », « Zeus », que Nietzsche mentionne à plusieurs occasions, sans oublier « Zola », dont « la joie de puer » fait partie de ces « impossibilités » épinglées par Crépuscule des Idoles. Personne n’est parfait…
DICTIONNAIRE NIETZSCHE
Sous la direction de Dorian Astor
Robert Laffont, « Bouquins », 988 p., 32 €