Platon à Paris dans le 19e
Il y a 150 ans, le 14 janvier 1867, Victor Cousin mourait à Cannes. Sa gloire a certes pâli, son œuvre n’est plus fréquentée. Il arrive même que l’on ne sache plus de qui il s’agissait. Pourtant, sans lui, la philosophie ne serait pas ce qu’elle est, du moins en France. En fait, dans l’enseignement secondaire et supérieur, les épreuves et les programmes du bac, l’agrégation… presque partout son empreinte est perceptible en filigrane, malgré les réformes et les métamorphoses. Victor Cousin a en effet créé l’essentiel des formes de l’enseignement philosophique. Il les a imposées et défendues contre les attaques de tous bords. Ministre de l’Instruction publique, président du jury d’agrégation, il résista aux catholiques ultra comme aux matérialistes révolutionnaires.
Dans sa jeunesse, Cousin s’intéresse à l’idéalisme allemand, correspond notamment avec Hegel, avec Schelling (1). Surtout, de 1822 à 1840, il traduit tout Platon ! Schleiermacher, en Allemagne, en avait fait autant entre 1804 et 1828. C’est en grande partie à Victor Cousin que nous devons l’omniprésence de Platon dans les classes terminales, l’attention à l’incontournable silhouette de Socrate, à son procès, ses duels avec les sophistes, sa quête de la vérité, son souci de la justice. Dans la France de l’époque, ce fut une résurrection. Car l’histoire des lectures de Platon n’est pas un long fleuve tranquille. Référence centrale pour les Anciens, l’œuvre est négligée au Moyen-Âge au profit de celle d’Aristote. Elle réémerge à la Renaissance, s’estompe à l’Âge classique, ne commence à refaire surface qu’au XIXe siècle. La traduction de Cousin – surannée, dépassée par des éditions plus actuelles et précises -, peut encore se fréquenter (2).
Le volume Platon, édité sous la direction d’un collectif de chercheurs, rassemble les textes de présentation rédigés pour les différents volumes de cette traduction. Cousin y explique l’argument de chaque dialogue platonicien et en situe la perspective. Les notes de deux cours professés à l’Ecole Normale Supérieure et divers autres textes complètent l’ensemble. Mais à quelle fin, pour quel usage ? Il ne serait pas judicieux, en 2017, de s’initier à Platon à partir de ces textes. Aujourd’hui, un débutant peut encore lire les traductions de Cousin, mais ces présentations risquent de l’induire en erreur. Ces documents sont passionnants, en revanche, pour qui s’intéresse à l’histoire des idées, aux représentations successives des doctrines, aux tribulations de leurs interprétations.
On y découvre comment on pouvait lire Platon à Paris entre Restauration et Monarchie de Juillet. Avec quelque surprise. Cousin s’évertue par exemple à expliquer que Platon est avant tout un philosophe – son époque y voyait d’abord un écrivain ou un dramaturge, plutôt qu’un théoricien. Il insiste aussi sur la « simplicité » de l’œuvre, dont bien des textes n’étaient plus considérés en raison de leur prétendue obscurité. Enfin, le ressort majeur de ce retour à Platon est pour Cousin une machine de guerre contre les penseurs « sensualistes » qui dominent son époque (Cabanis, Destutt de Tracy). Ils définissent l’homme par son corps, et sa pensée par ses sens. Platon soutient que l’homme est son âme, et que les idées existent par elles-mêmes. En 1822, c’était très insolite.
- La correspondance Schelling-Cousin figure dans le volume collectif Victor Cousin, sous la direction de Patrice Vermeren, initialement publié par la revue Corpus, qui vient d’être réédité (L’Harmattan, 260 p., 28 €).
- Disponible en version numérique chez Arvensa Editions (arvensa.com, 1,79 €).
PLATON
de Victor Cousin
Textes réunis et présentés par Christiane Mauve, Michel Narcy, Renzo Ragghianti, Patrice Vermeren
Vrin, « Histoire de la philosophie », 390 p., 32 €