Brève rencontre avec Confucius
Il a beaucoup voyagé – dans l’espace, mais aussi dans le temps. Au point de devenir le symbole du sage errant, nomade, sans place fixe. On le signale en Chine, au Ve siècle avant notre ère, époque troublée. Ce maître pérégrinant cherche un prince prêt à l’écouter. Son contexte évoque le nôtre : moments de chaos, malentendus entre peuple et gouvernants, corruption et violences, mépris des lois et de l’humanité, oubli de tout respect. Voilà pourquoi il nous parle.
Son nom : maître Kong – Kongfuzi -, baptisé « Confucius » par le latin des missionnaires chrétiens. Déambulant de royaume en royaume, il s’est aussi promené de siècle en siècle, tantôt promu penseur officiel, tantôt relégué dans l’ombre. La Chine actuelle lui a redonné une place d’honneur, et ce vieux sage sans illusions, ami de l’ordre et des convenances comme du parler vrai, accorde parfois des audiences. J’ai eu la chance de le rencontrer, il y a seulement quelques jours, et de l’interroger, pour cette chronique, sur l’état de la France et la situation de nos hommes politiques.
Ne pouvant dévoiler le lieu où s’est déroulé l’entretien, j’indiquerai que mes premiers mots remercièrent le maître de m’accorder ce rendez-vous. « N’est-ce pas un bonheur d’avoir des amis qui viennent de loin ? « répliqua-t-il, courtois et modeste. Ma première question porta sur les scandales qui ont émaillé la politique française. Après les affaires Cahuzac, Morelle et autres, quel conseil donnerait Confucius au président de la République ? Il n’a pas hésité une seconde : « Promouvez les hommes intègres et placez-les au-dessus des gens retors – le peuple vous soutiendra. Mais si vous placez les gens retors au-dessus des hommes intègres, le peuple cessera de vous soutenir. «
J’ai vite compris que ce sage sans âge était très au fait de notre actualité politique. A propos des critiques que d’anciens ministres émettent sur les décisions du gouvernement, il laissa tomber : « Qui n’occupe pas de position dans le gouvernement n’en discute pas la politique. « Je constatais sans peine que ses jugements n’allaient pas dans le sens dominant. Ainsi, à propos de la pédagogie souhaitée pour que les réformes en cours soient mieux comprises, il eut cette formule : « On peut dire au peuple ce qu’il doit faire, mais on ne saurait lui en faire comprendre le pourquoi. » Même attitude désabusée – ou réaliste, comme on voudra – à propos de l’affaire du Carlton de Lille. Au lieu de s’offusquer, de s’indigner, Confucius se contenta de sourire en disant : « Je n’ai jamais vu quelqu’un qui aimât la vertu autant que le sexe. «
Pourquoi ne viendrait-il pas à l’Elysée, comme conseiller spécial ? L’idée semble d’abord le tenter : « En un an, je mettrais les choses en route et, trois ans après, on aurait des résultats. « Songeant que trois ans, ce sera trop long, il écarte l’hypothèse d’un mouvement de main. Après les événements du mois de janvier, aurait-il une suggestion pour l’action du président ? « Dirigez le peuple comme si vous célébriez une grande cérémonie. N’imposez pas aux gens ce dont vous ne voudriez pas pour vous-même. En politique, pas de rancoeur; en privé, pas de rancoeur. » Me Kong aurait-il, par hasard, un avis sur le titre de « première dame ? » : « Il y a diverses appellations pour l’épouse d’un souverain. Le souverain l’appelle « Madame ». Elle-même s’intitule « votre petite servante ». Les sujets l’appellent « la dame du souverain », et devant les étrangers, ils l’appellent « notre petite princesse ». «
Pour tout dire, je me suis demandé si le vénérable maître n’était pas gagné par la fatigue. Mais il s’est vite ressaisi. En effet, alors que j’évoquais l’éventuel retrait de tel ou tel homme politique, comme fit Lionel Jospin en 2002, sa réponse fut tranchante : « On n’a pas le droit de se retirer de la vie publique. On ne peut quand même pas bouleverser les relations humaines les plus fondamentales rien que pour préserver sa pureté individuelle. Pour un honnête homme, servir l’Etat reste un devoir, même s’il sait d’avance que la vérité ne prévaudra jamais. » Si quelques lecteurs doutaient de la véracité de cette rencontre, je certifie que toutes les questions sont authentiques, et toutes les réponses de Confucius également (1).
(1) Ciations extraites des « Entretiens de Confucius ». Traduction du chinois de Pierre Ryckmans, Folio, 2 euros.