Lettre à un enfant du 13 novembre
Il y a longtemps que tu attendais Noël. Mais aujourd’hui, dans ta tête, ce n’est pas le plus important. Le sapin, les cadeaux, la fête, la douceur des tiens passent à l’arrière-plan. Tu vas sourire, évidemment, mais avec les yeux graves. Parce qu’à ton âge, sept ans, tu as vu, il y a plus d’un mois déjà, des scènes qui ne quittent plus ton esprit, qui t’inquiètent, même si tu ne veux pas en parler, surtout parce que tu ne veux pas en parler. C’est ton grand-père, un ami de toujours, qui m’a raconté ce qui t’est arrivé. Pourquoi ai-je souhaité t’écrire ? Tu le sauras bientôt.
Tu habites juste à côté d’une des terrasses où des gens ont été tués. Ce soir-là, ta mère rentrait de voyage. Il était déjà un peu tard, mais bien sûr tu voulais plus que tout l’attendre, l’accueillir, retrouver sa douceur. Tu es descendu à sa rencontre, dès que tu l’as vue dans la rue. Tu as sauté dans ses bras. Elle t’a serré très fort, et tu étais heureux. Tu as dit : « C’est quoi, ces pétards ? » Ce n’étaient pas des pétards. Ta mère t’a serré encore plus fort. Vous vous êtes jetés dans l’immeuble, vous avez monté l’escalier en courant, jusqu’à l’appartement. Par la fenêtre, un peu plus tard, tu as vu des hommes et des femmes par terre, du sang, des blessés et des morts. Tu te souviens du silence et des cris. Puis des policiers, des ambulances. Puis des monceaux de fleurs, à côté de ta maison, sur la terrasse vide.
Depuis, tu refuses d’en parler. Je crois que tu as raison. Si tu veux bien, c’est moi qui vais parler, avec des mots simples, j’espère. Et tu en feras ce que tu veux.
Tu ne comprends pas vraiment ce qui s’est passé. Moi non plus. Et je ne connais personne qui puisse dire qu’il comprend, complètement, de manière bien claire et précise. Tu es donc comme tout le monde. Les grandes personnes ne savent pas tout. On sait qu’il existe des gens capables de tuer leurs semblables, mais je ne crois pas qu’on sache réellement pourquoi. Quand on dit qu’ils sont méchants, ou qu’ils sont fous, ce sont des noms qu’on leur donne, pas des explications.
Tu as eu peur, c’est normal. Tu as encore peur, même si tu ne veux rien dire, et c’est normal. Moi aussi. Comme nous tous, et ça continue. Il faut avoir le courage de le dire. Ce n’est pas grave d’avoir peur. C’est plus embêtant de le cacher, de faire comme si ça n’existait pas. Je crois même que plus on dit qu’on a peur, plus ça passe. Parce qu’on partage avec les autres, on voit qu’ils sont comme nous, et ça aide. Ca permet aussi de réfléchir ensemble.
Pour se rendre compte, d’abord, que ces gens qui tuent sont très peu nombreux. Dans le monde entier, ne l’oublie surtout pas, il y a énormément plus de gentils que de méchants, heureusement. Et tu es bien protégé. Par tes parents, tes grands-parents et leurs amis, mais aussi par la police, les soldats, tous ceux qui travaillent pour arrêter les tueurs et les empêcher de recommencer. Mais je ne veux pas te mentir. Personne n’arrive jamais à arrêter tous les tueurs complètement. C’est pour cela qu’il arrive parfois des drames, comme la fusillade qui t’a tellement troublé. Ca laisse une écorchure dans la tête. Tu t’es déjà écorché souvent, au genou, au coude, au doigt… Tu sais bien que ça cicatrise. Quand on a la tête écorchée, c’est à peu près pareil.
Si un petit pansement peut t’aider, dis-toi que ceux qui ont provoqué ces morts finiront par être vaincus. Beaucoup de gens s’en occupent, et il y en aura de plus en plus pour combattre les tueurs. Ce sera sans doute long. J’espère que ce sera fini quand tu seras grand. De toute façon, plus tard, j’en suis sûr, tu seras très fort et courageux, et tu sauras te battre s’il le faut.
En attendant, prends le temps de grandir, d’apprendre, de jouer. Et occupe-toi du sapin, des cadeaux, de la musique, des amis. Si tu veux, tu peux prendre une bougie de Noël et l’allumer – avec ta maman, bien sûr – pour l’offrir à ces gens que tu as vus tomber. Ca t’aidera à penser à eux, en regardant la flamme. Quand elle sera éteinte, tu pourras aller dormir. Je suis sûr que la nuit sera plus douce. Quand tu voudras, si tu penses que c’est utile, tu pourras relire cette lettre. Dans quelque temps, tu pourras la jeter. Tu auras mieux à faire.