Paris étouffe, même sans canicule
Il n’y a pas si longtemps, on venait vivre en ville parce que c’était mieux qu’à la campagne : plus de confort, de loisirs, de services, de soins… Ces perspectives décidaient des ruraux à s’installer dans les capitales, qu’elles soient régionales ou nationales. C’est toujours le cas, du moins en grande partie. De fait, les grandes villes de France demeurent, dans l’ensemble, agréables à habiter.
Sauf Paris. Le quotidien y a viré à l’enfer. Les malheureux résidents de cette cité qui fut autrefois « ville lumière » subissent l’entrelacement de transports publics bondés, de travaux sur la chaussée en nombre démesuré, d’embouteillages interminables, d’une pollution de l’air croissante, d’une insécurité sans précédent de la circulation, mêlant dans le plus anarchique désordre trottinettes, vélos, motos, voitures, bus et piétons… Le tout, en ce moment, par 40° à l’ombre. Evidemment, personne n’est responsable de l’actuel pic de chaleur. Mais la cause de ce chaos urbain est directement politique.
Car ce n’est pas un effet du hasard si cette ville-joyau est à présent invivable, encombrée, polluée, laide et vulgaire. Il n’y a là aucun effet du destin, aucune nécessité. Rien que des erreurs, des entêtements absurdes, des fantasmes idéologiques, des décisions contre-productives. Bref, une gestion délirante et néfaste. La liste détaillée des bourdes funestes de la Maire de Paris au cours de son mandat occuperait plusieurs volumes. Les principaux exemples suffiront.
Il est urgent de purifier l’air de Paris, tout le monde en convient. Or il n’existe pour y parvenir qu’une seule méthode immédiatement efficace : commencer par rendre la circulation automobile la plus fluide possible. C’est le premier pas. Ensuite, on peut s’efforcer de diminuer le trafic, comme l’ont fait Londres ou Rome. A Paris, au contraire, la mairie s’est appliquée à paralyser systématiquement le trafic en bloquant le souterrain du Louvre, en fermant les voies sur berges à la circulation, en multipliant les voies cyclables et les chantiers. Résultat : les temps de trajet doublent, et surtout les taux de pollution augmentent. Est-ce cela qu’on appelle le sens de l’écologie ? Et de la gestion publique ?
Il est souhaitable de rénover la cité, là aussi tout le monde est d’accord. Pourtant, la multiplication de mobiliers urbains disparates et hétéroclites, la dissémination de nouvelles poubelles hideuses, le remplacement des kiosques à journaux stylés par des cubes de plastiques sans grâce ne semblent pas aller dans ce sens. Ni les aménagements pseudo-festifs qui fleurissent un peu partout. Pas question de souhaiter que tout reste identique, mais il faut éviter que tout ne devienne abject.
Parce que cette ville n’est pas un amas de distractions. Elle fut aussi, et peut-être avant tout, un spectacle étonnant et sublime, une esthétique, un univers de détails innombrables et infimes en corrélation. Au lieu de respecter ces traits, d’améliorer le quotidien en tenant compte de leur existence, on les néglige, les détériore, les détruit. Si je tiens à le dire, c’est que je suis né à Paris, que ma mère y était née, et que j’aime ce lieu du monde. Pour en connaître pas mal d’autres, j’ai la faiblesse de croire celui-ci singulier entre tous. Mais fragile, éminemment. Et en péril, à présent.
Il faudrait appeler à la rescousse François Villon et Clément Marot, Rabelais et Montaigne, Balzac et Hugo, Benjamin et Aragon, et tant d’autres, tous amoureux de Paris, tous piétons, tous poètes et paroliers. Qu’ils empêchent, si possible, la ville de n’être plus que l’ombre d’elle-même, et d’étouffer de mille manières. Certes, les meurtres d’âme ne figurent pas au code pénal, mais il est urgent de délivrer Paris des forces qui la minent, et de commencer à la réparer, avec l’allégresse qu’elle mérite. Si ce n’était pas le cas, la grande kermesse olympique qui s’annonce devrait s’agrémenter d’épreuves inédites. On inaugurerait le slalom géant en trottinette électrique, le marathon immobile sans respiration, la compétition d’extase à Paris-plage. On tenterait de battre le record de la piste cyclable la plus longue et la moins fréquentée. On se vanterait cent mérites et de mille vertus. Et l’on remporterait la médaille d’or du pire. Avant cela, s’il est encore temps, mieux vaudrait se souvenir de ce que Pierre de Coubertin n’a pas dit : en matière d’enfer, d’étouffement et de chaos, l’important est de ne pas participer.