Figures libres. Méditations d’un robot philosophe
Ils sont là. L’un des plus vieux, Deep Blue, avait battu Kasparov aux échecs, à la fin du siècle précédent. Quantité d’autres, depuis, contrôlent flux financiers, systèmes de défense, transports en commun et circulation urbaine. Ils sont partout, les robots. On signale même leur arrivée dans les salles de rédaction : ils rédigent déjà, ces derniers mois, résultats des élections régionales et bilans d’entreprise – en attendant mieux… Par exemple, des exercices philosophiques. Minimum requis : intelligence artificielle haut de gamme, bon programme de synthèse vocale, base de données évolutive. Informaticiens, encore un effort…
Bientôt, nous y serons ! Pascal Chabot l’assure. Ou plutôt, il y fait rêver et réfléchir : son texte n’est pas un manuel technique, mais une mise en scène du vertige. Nous voilà en 2025, les machines ont fait quelques progrès, leurs capacités à converser « avec à-propos », comme disait Descartes, ne semblent plus distinguables des nôtres. Un jury de professeurs, façon thèse et habilitation, va donc mitonner des questions pièges pour le premier des « chatBots » (robots capables de converser) supposé philosophe. Il s’agit de savoir, en fonction de la pertinence de ses propos, si on peut légitimement considérer ce robot comme un penseur autonome, capable de méditations authentiques, non de contrefaçons habilement coupées-collées.
Certes, sa « formation » n’a duré qu’un petit trimestre. Mais, étant donné les capacités surhumaines de la machine, ce fut bien suffisant pour qu’elle intègre tous les lexiques nécessaires, sache distinguer entre les écoles de pensée, possède à fond les œuvres classiques et leurs flots de commentaires, grave dans sa mémoire des milliers de citations, intègre même les sommaires de toutes ces revues savantes que plus personne d’humain ne lit depuis longtemps. Bref, son savoir philosophique est largement supérieur à celui du thésard moyen, sans parler des professeurs… D’autant que le robot fut doté aussi de tous les liens entre idées, techniques d’argumentation, analyse des concepts… bref, un trousseau complet.
Elégance et simplicité
Le grand jour venu, quatre questions ont été préparées par les membres du jury. Le robot les ignore. Elles portent sur lui-même, sa capacité à être philosophe, son mode d’existence, sa conscience de soi, son éventuelle supériorité sur les humains. Le test est d’autant plus crucial que rien, dans sa programmation, n’a porté, délibérément, sur ces points précis. On s’en voudrait de divulguer, tel un stupide chatBot spoiler, les belles réponses de la machine. Leur subtilité fait le charme de cette courte fiction, très réussie.
Elle confirme certaines évidences : point n’est besoin d’être prolixe ni pédant pour intervenir avec acuité au cœur de questions vives. Ce tout petit texte soulève en effet, avec élégance et simplicité, une série d’interrogations cruciales : faut-il être humain pour philosopher ? Si ce n’était plus le cas, que deviendraient, en retour, les humains ? Comment serait-il possible à une intelligence artificielle de philosopher authentiquement, alors qu’elle n’a d’expérience directe ni du doute ni de l’horizon de la mort ? Sur ces points, la machine, dans ses répliques, se montre très fine, en tout cas dans cette fiction, dont on ne peut quand même pas oublier que l’auteur reste un humain. Si c’était l’inverse, il serait devenu, si l’on ose dire, robot pour être vrai…
ChatBot le Robot. Drame philosophique en quatre questions et cinq actes, de Pascal Chabot, PUF, 80 p., 9 €