Supprimer le sapin de noël ? « Une logique folle et simpliste
« Mes bien chers frères, plus de sapin de Noël dans notre ville… » Au premier instant, on croit à un canular. Un prêche aussi sérieux que « pas de boogie-woogie avant vos prières du soir ». Mais non. En écoutant bien, cette histoire – même minuscule, même grotesque – signifie beaucoup. Comme un symptôme, qui laisse présager le pire.
Nouveau maire écologiste de Bordeaux, Pierre Hurmic annonce qu’il n’y aura plus, cette année, de sapin place Bey-Berland, près de l’Hôtel de Ville. Souci d’économies ? Laïcité radicale ? Lutte contre la déforestation ? Trois fois non… Motif retenu : « Nous ne mettrons pas d’arbre mort sur la place de la mairie. »
Derrière cette farce, une logique folle et simpliste est à l’oeuvre : si, entre arbres et humains existe un continuum à la fois organique, éthique et juridique, alors un arbre est un être vivant qui mérite respect et protection, donc exposer un arbre mort est aussi moralement condamnable que d’exhiber un cadavre humain en public, pour s’en réjouir, notamment lors des frimas de décembre.
Qui oserait installer un homme mort, ou le cadavre d’un animal, au coeur de la ville ? Imagine-t-on l’obscénité infinie qu’atteindrait ce spectacle macabre quand, sur cet organisme privé de vie, scintilleraient guirlandes et ampoules clignotantes ? Sans parler de l’étoile d’argent, juchée sur le cadavre du roi des forêts ! D’un arbre mort, on devrait porter le deuil, au lieu d’instrumentaliser sa dépouille. A ce compte, supprimer le sapin de Noël, ce n’est pas épargner un conifère, c’est éviter un crime contre l’arborité !
Logique ubuesque
En poussant à son terme cette logique ubuesque, on se met à trembler. Le souci des vies animales – indéniablement juste dans son principe – provoque assez d’activismes grimaçants – saccages de boucheries-charcuteries, attaques d’industries « viandardes », imprécations véganes apocalyptiques… Si vient le tour des arbres, on assisterait bientôt à la chasse aux bûcherons-assassins, à la prise d’assaut des scieries, au jugement de menuisiers inculpés de meurtres. Un grand plan pour « sortir du bois » devrait s’élaborer, comme pour « sortir du nucléaire ». Adieu bûches, copeaux et sciures…
Tout usage du bois deviendrait vite immoral. Vous ne mangez jamais dans un crâne humain, pourquoi utilisez-vous des bols en bois ? Vous n’êtes jamais assis sur des empilements d’os, pourquoi utiliser des chaises en bois ? Arrêtez de vous meubler dans les catacombes ! Adieu tables, buffets et bancs…
Solidarité absolue entre tous les vivants, végétaux inclus, serait le mot d’ordre. Mais nos soeurs les fleurs ne sont ni moins vivantes ni moins respectables que les arbres. Osons dire non au trafic de roses assassinées ! Mort aux fleuristes, à bas les bouquets infâmes de cadavres assemblés !
Amis de la vie végétale, encore un effort… Pourquoi délaisser les légumes, les fruits, les céréales ? Ne sont-ils pas vivants, eux aussi ? Pourquoi la vie de l’arbre vaudrait-elle plus que celles du chou, de la pomme, du sarrasin ? Le blé se reproduit, s’alimente du sol et de l’atmosphère, croît et embellit. Impossible de bafouer ses droits, de le condamner à être fauché, broyé.
L’arbre est-il un « sujet de droits » ?
« En vérité, je vous le dis, mes bien chers frères, il n’existe pas différentes sortes de vie, les unes dignes de se perpétuer, les autres destinées à s’interrompre ! Toutes se valent, toutes doivent être également respectées… » Sans discrimination, sans différenciation aucune.
Voilà où peut mener ce genre pseudo-logique sans frein. Elle se heurte évidemment à quelques difficultés. Notamment : qu’est-ce qu’on mange ? À la place du bois, faut-il prôner le retour au plastique ? Sans parler de multiples questions éthiques, juridiques et politiques soulevées par l’intention de considérer l’arbre « comme sujet de droits ». Dans cette perspective, que faire du colossal déséquilibre démographique entre le peuple des arbres et notre petite humanité ? Avec, au bas mot, 300 milliards d’arbres sur terre, on se retrouve à 300 contre un – et le risque alarmant de voir les rapports de pouvoir s’inverser…
« L’idée de derrière » comme dit Pascal, en toile de fond de toutes ces confusions, est l’erreur philosophique de départ sur la notion de vie. Les humains sont vivants, les arbres aussi, les baleines également, tout comme les microbes et quelques millions d’espèces. Mais s’imaginer que ces modes d’existence dissemblables constituent une seule et même vie, unifiée et continue, homogène, identique, et donc solidaire, conduit à des absurdités dangereuses. On ne sortira de ces pièges qu’en différenciant, en délimitant, en acceptant bien sûr l’idée de continuité, mais en maintenant la complexité du vivant dans chacune de ses strates distinctes.