Tout va s’écrouler ? Même pas peur !
« Effondrement » fut le titre français du livre du géographe et biologiste américain Jered Diamond (Gallimard, 2006). Cet essai marquant étudie comment meurent les civilisations. Au cœur de ses préoccupations : le risque d’une fin prochaine du monde industriel planétaire. Depuis, cette possibilité d’implosion est devenue, pour certains, la certitude d’une Apocalypse proche. L’agonie serait donc entamée, la fin serait inévitable, et le trépas à nos portes. Il est inutile même de sonner le tocsin : la fin du monde serait si évidente que la vraie question n’est plus d’y échapper.
L’essentiel serait de faire bonne figure. L’explosion étant inéluctable, les efforts pour l’éviter dérisoires et vains, nous voilà dispensés des crispations, libérés des combats, disponibles pour traverser sereinement le temps qui reste. Deux ingénieurs agronomes, Pablo Servigne et Gauthier Chapelle et un « écoconseiller », Raphaël Stevens, experts en « collapsologie », vont encore plus loin. Auteurs de Comment tout peut s’effondrer (Seuil, 2015), qui fut très lu et continue de l’être, les trois experts-compères explorent maintenant un registre nouveau, baptisé « collapsosophie ».
Cette sagesse pour monde au bord du gouffre consiste, grosso modo, à tenir ce discours : conscients que nous n’échapperons pas au pire, que quantité d’horreurs et de convulsions s’abattront bientôt sur la planète, cultivons en nous la compassion, l’altruisme, la présence au monde et la spiritualité…
Arguments employés et conseils prodigués sont à la fois très curieux et très discutables, parfois touchants, parfois irritants. En fait, la réaction de chaque lecteur dépendra de sa place dans la gamme des attitudes envers l’avenir.
Les convaincus d’une arrivée rapide de bouleversements titanesques approuveront la nécessité proclamée de se reconnecter d’urgence à la terre, de sauvegarder ce qui peut l’être, quitte à constater qu’il n’y a plus grand chose qui le soit, mises à part sérénité et solidarité. Ceux-là jugeront sans doute les conseils de cet essai bienfaisants et salvateurs.
A l’autre pôle, les suppôts du monde thermo-industriel, les inconscients qui tiennent le dérèglement du climat pour une fable, les optimistes, supposés idiots, qui considèrent les cataclysmes comme des contes de sorcières, se contenteront de hausser les épaules, quitte à se faire traiter d’ennemis de la terre et d’assassins de l’avenir. Car il existe bien, pour les auteurs, un « front qui se dévoile entre les terrestres (…) et ceux qui continuent à détruire les bases communes de notre subsistance ».
Entre ces extrêmes, tous ceux qui pensent que des convulsions plus ou moins fortes attendent certainement l’espèce humaine, mais qu’elles n’auront de mortel, considéreront cet essai comme un symptôme. Mais de quoi ? De l’effondrement croissant de notre capacité à concevoir la continuité du monde. Elle permet à quantité de vieux schémas millénaristes de faire retour, incognito, dans certains discours écologistes.
L’Apocalypse n’existe pas. La véritable « fin du monde » non plus. Sauf dans les mythologies, les cauchemars et la gnose. Confondre fin d’un monde, et les soubresauts qu’elle entraîne, avec fin du monde est une fâcheuse erreur. Il faut le dire et le redire, même si c’est très mal vu.
UNE AUTRE FIN DU MONDE EST POSSIBLE
Vivre l’effondrement (et pas seulement y survivre)
de Pablo Servigne, Raphaël Stevens, Gauthier Chapelle
Préface de Dominique Bourg
Postface de Cyril Dion
Seuil, 332 p., 19 €