Catholique ? Oui… Exotique ? Non
Longtemps, parler d’Occident chrétien fut un pléonasme. A Rome, le pouvoir de l’Eglise avait succédé à celui de l’empereur. L’hégémonie catholique – spirituelle avant tout, mais également politique, juridique, économique… – s’étendait à toute l’Europe. Les tensions multiples avec les monarchies, plus tard la fracture de la Réforme, n’ont pas eu raison de ce règne sans partage. Plus d’un millénaire durant, chrétienté était synonyme d’Occident.
Chacun sait que ce n’est plus le cas, depuis belle lurette. La séparation qui s’est opérée n’a pas seulement disjoint l’Eglise et l’Etat, elle a massivement scindé société et religion, vies individuelles et foi, culture et christianisme. Les allusions religieuses de quantité d’œuvres littéraires, de tableaux et sculptures classiques sont devenues incompréhensibles, désormais, à la majeure partie de nos contemporains. Pour ceux qui ont conservé la foi, ce naufrage culturel n’est qu’un dommage collatéral. Ce qui les heurte, c’est l’extension du domaine du mépris, l’ignorance érigée en arrogance, la multiplication des procès – de faux procès, trois fois sur quatre – intentés à l’Eglise catholique en particulier, au christianisme en général, à la religion dans son ensemble – qui finissent par passer pour des curiosités exotiques. D’où leur crainte, leur colère. Et leur combat.
Voilà pourquoi on constate une reviviscence des « défenses et illustrations de la pensée catholique », singulièrement chez les philosophes. Certains d’entre eux en ont assez des haussements d’épaules. Non, disent-ils, la religion n’est ni un signe de débilité ni un ferment de violence. Pas plus qu’elle n’est ennemie de la liberté, du corps, de la jouissance. Pour preuve, deux essais différents mais convergents que les hasards de l’édition voient arriver, l’un et l’autre, aujourd’hui même en librairie. Leurs auteurs ont en commun d’être des universitaires reconnus, professeurs de philosophie. Ils défendent leur croyance de manière argumentée, en faisant flèche de plusieurs bois.
Dans Sur la religion, Rémi Brague, membre de l’Institut, professeur émérite à la Sorbonne, revient, avec le sérieux et la clarté qui le caractérisent, sur l’histoire de la notion même de religion – de constitution récente, dans le sens que nous donnons au terme. Il s’emploie à démonter nombre de préjugés et contresens portant sur les relations entre raison et foi, Eglise et Etat, violence et textes sacrés, sans se départir d’une forme de réserve académique. Si le contenu est précis, et quelques apartés pince-sans-rire, l’ensemble se tient loin de la pugnacité des derniers essais de Rémi Brague, comme Les ancres dans le ciel (Seuil, 2011) et Le propre de l’homme (Flammarion, 2014).
Avec Comment peut-on être catholique ? (clin d’œil, bien sûr, aux Lettres Persanes de Montesquieu) Denis Moreau, professeur à l’université de Nantes, auteur notamment de travaux sur Descartes, s’attaque avec verve, et même avec gouaille, à une tentative d’apologétique pour égarés du XXIe siècle. Résultat : une insolite combinaison d’arguments théologiques rationnels, remis au goût du jour, de partis pris intimes et de vertes polémiques ripostant à ceux qui prennent, un peu trop vite, les catholiques pour des demeurés. Blaise Pascal y croise allègrement Iggy Pop, et Charlie Hebdo s’y frotte à Saint Thomas d’Aquin. C’est parfois drôle, parfois non. Mais toujours à considérer.
SUR LA RELIGION
de Rémi Brague
Flammarion, 246 p., 19 €
COMMENT PEUT-ON ÊTRE CATHOLIQUE ?
de Denis Moreau
Seuil, 360 p., 22 €