Recherche scénariste désespérément
Le Festival de Cannes s’ouvre au moment où la politique française paraît plus que jamais dépourvue de vrai scénario. En panne de récit, d’histoire bien construite qui mobilise l’attention, la conduite du pays vire à la confusion. Difficile de s’y retrouver : nous sommes en guerre, mais tout paraît continuer comme avant. L’état d’urgence est prolongé, mais manifestations et rassemblements se poursuivent comme d’habitude. Chaque jour, la ligne officielle paraît plus illisible que la veille : le Premier ministre fait preuve d’autorité, décide de faire adopter la loi travail sans débats, affirme agir pour le bien commun. Il provoque des fractures dans son propre camp, de nouveaux incidents dans les rues, des ressentiments multiples. Le président, pendant ce temps, répète en boucle que tout va mieux. Il est urgent de faire appel à des scénaristes de métier. Nous avons pu consulter une première ébauche esquissée par l’un d’entre eux.
Pour coller à l’atmosphère ambiante, l’auteur pressenti suggère une histoire burlesque, une sorte de vieux « James Bond » revu façon Père Ubu, mâtiné d’ « Hellzapoppin » et d’ »OSS 117 ». Le titre étonne : « Agent 49-3 contre Dr Coué ». Le pitch est curieux : un ancien savant ressuscite avant de travailler à l’Elysée. Le film commence donc comme un biopic de l’étrange Emile Coué de La Châtaigneraie (1857-1926). Issu d’une famille de petite noblesse bretonne désargentée, il découvre l’effet placebo. Sous la IIIe République, dans sa pharmacie de Troyes, Emile Coué répète à ses clients qu’ils vont déjà mieux grâce à ses prescriptions de poudre de perlimpinpin. Et certains se portent bien ! S’informant des recherches sur l’inconscient, il rédige « La Maîtrise de soi-même par l’autosuggestion consciente » (1913).
Emile Coué expose clairement sa célèbre méthode : « Tous les matins au réveil, et tous les soirs, aussitôt au lit, fermer les yeux et, sans chercher à fixer son attention sur ce que l’on dit, prononcer avec les lèvres, assez haut pour entendre ses propres paroles et en comptant sur une ficelle munie de vingt noeuds, la phrase suivante : « Tous les jours, à tout point de vue, je vais de mieux en mieux. » Les mots « à tout point de vue » s’adressant à tout, il est inutile de se faire des autosuggestions particulières. » Succès foudroyant pour « le plus grand optimiste de France », comme disent les journaux du temps : voyage aux Etats-Unis, fondation de nombreuses sociétés couéistes en Europe (1). Ensuite, notre homme tombe dans l’oubli.
Une touche de fantastique : il revient à la vie, ambitionne toujours de marquer son temps, devient conseiller du prince. A l’usage de son illustre employeur, Emile Coué transforme légèrement sa méthode : ne plus dire : « Je vais de mieux en mieux », répéter : « la France va de mieux en mieux; » Et tout ira bien. C’est là que l’histoire se complique, et le scénariste commence à s’embrouiller.
En effet, le brave docteur a oublié, dans la nouvelle version de sa méthode, ce point central : l’autosuggestion concerne uniquement celui qui la pratique. Elle ne peut – en aucun cas – convaincre les autres. Le scénario met alors en scène des journalistes et des citoyens qui persistent à exiger des actes et non des mots, qui veulent des preuves et non des mantras. Comme ils sont mécontents d’entendre ressasser que tout va mieux, en fait tout va de mal en pis. La stratégie de communication vire ainsi à la catastrophe. Il faut sauver les meubles. Un agent spécial, rompu aux actions efficaces et rapides, est appelé à la rescousse. Son nom de code : 49-3. Sa devise : « Faute de convaincre, contraindre. » Son intervention se révèle incompatible avec les maximes du docteur Coué. Elle ne fait qu’embrouiller plus encore une histoire déjà passablement confuse.
Le scénariste a été remercié. Intrigue mal construite, répliques bâclées, suspense affligeant. Son texte était à peu près aussi nul que l’ouverture du Festival de Cannes, ce qui n’est pas peu dire. Le producteur entendait déjà, dans la salle, le public crier : « Remboursez, remboursez ! » D’autres auteurs rédigent actuellement les prochains scénarios. De nouvelles équipes y travaillent. D’ici à un an, tout devrait être réglé. D’ici là, on ne sait pas. Les acteurs improvisent. Des spectateurs sifflotent, certains regardent ailleurs, d’autres toussent bruyamment. Personne, pour l’instant, ne demande le programme.