La conscience juive deJankélévitch
Jusqu’à 36 ans, philosophie et musique occupaient intensément sa vie. Vladimir Jankélévitch se savait juif, mais n’y pensait guère. Mobilisé le 5 août 1939, bientôt pourchassé par Vichy, il se retrouve clandestin. « Résister, c’est renouer avec son judaïsme » écrit-il à Toulouse en 1943. Après-guerre, il ne cessera d’aiguiser son analyse de l’être juif – ses paradoxes, ses tensions – et d’intensifier son combat contre l’antisémitisme.
Le volume intitulé La Conscience juive rassemble plusieurs de ses interventions sur ces thèmes, notamment celles des « Colloques des intellectuels juifs de langue française », qui se sont tenus à partir de 1957. Sous la responsabilité d’Edmond Fleg, qui habitait le même immeuble que Jankélévitch, ces rencontres – où se firent entendre aussi Emmanuel Levinas, Jean Wahl ou André Neher – ont marqué un moment important de renouveau. Le philosophe y déclare d’emblée : « Les événements de la guerre ont été pour beaucoup de Juifs qui ne se voulaient pas juifs la révélation de leur propre judaïsme. Ils l’avaient toujours nié, et cet être fondamental qu’ils portaient en eux leur a soudain été révélé ».
Cette révélation, Jankélévitch s’emploie de texte en texte à en éclairer les facettes multiples, avec finesse et subtilité. Fil directeur : une suite de tensions créatrices, impossibles à résoudre mais fécondes. Entre Israël et la Diaspora, entre assimilation et différenciation, entre soi et les autres. Chaque fois, le philosophe montre comment la « synthèse conciliatrice » est impraticable et comment une « oscillation vibratoire », infinie, entre les deux pôles est constitutive de la conscience juive.
C’est exactement cela que l’antisémitisme veut éradiquer, en sommant le juif de choisir : « ou tu ne diffères pas des autres en acceptant de t’assimiler à eux, tu abandonnes tes usages, ou bien alors ne sois que juif et accepte le ghetto. » Insister sur l’actualité de ces analyses est inutile, tant elle saute aux yeux.
LA CONSCIENCE JUIVE
de Vladimir Jankélévitch
L’Herne, 168 p., 14 €