SEXE ET GENRE DANS L’ÉGLISE, HIER ET AUJOURD’HUI
Autre temps, autres mœurs. Inutile de plaquer sur les siècles passés les hantises de notre époque, ses catégories ou ses faits et gestes. Bien souvent, c’est au contraire le profond dépaysement d’un périple dans les siècles antérieurs qui fait mieux saisir, par contraste, la singularité du présent. C’est pourquoi il faut découvrir, en compagnie de l’historienne Myriam Deniel-Ternant, ce que furent, de la Renaissance au siècle des Lumières, les frasques multiples des gens d’Église, prêtres ou nonnes, simples moines comme hauts dignitaires.
Quel festival ! Des religieuses lubriques font le mur des couvents, des prostituées se spécialisent en clients ecclésiastiques, des confesseurs lutinent à domicile de délurées donzelles, tandis que des groupes de curés s’adonnent, de préférence en plein air, à des réjouissances entre hommes… Tout un catalogue de petites et grandes débauches est ainsi passé en revue, sans rien laisser dans l’ombre. Pratiques, postures, fréquences, lieux favoris, tarifs (modiques) ou sanctions (modestes) se trouvent rapportés avec soin, et non sans ironie.
On doit déjà à Myriam Deniel-Ternant Ecclésiastiques en débauche (1700-1790) (Champ Vallon, 2017). Avec constance et obstination, elle approfondit et élargit sa recherche, en exhumant des archives – sources littéraires et mémoires, sources policières et judiciaires – un panorama truculent, et finalement plutôt joyeux. Car le plus intéressant, dans ce musée insolite, est sans doute l’absence massive de culpabilité. Aucune torture mentale au rendez-vous. Elle se voit remplacée, çà et là, par la pratique érotique du fouet, ou quelque mise en scène bouffonne.
Bien sûr, il demeure difficile de mesurer la part exacte de la réalité que représentent ces données. Impossible, toutefois, qu’elles soient toutes imaginaires. A côté de fables convenues et de fictions multiples, de nombreux documents et témoignages attestent de grossesses dans les couvents, de concubinages chez les prêtres, de nombreux enfants de gens d’Église placés ou abandonnés. Jusqu’à la Révolution Française, il semble bien que la sexualité ecclésiastique ait été active, polymorphe et, comme on ne disait pas à l’époque, décomplexée.
Le paysage contemporain est fort différent, marqué comme chacun sait par l’emprise de la pédophilie, scandale longtemps étouffé par l’omerta de la hiérarchie. D’autre part, l’Eglise développe une culture spécifique de l’homosexualité, articulée de manière obscure à l’homophobie entretenue par sa propagande officielle. C’est cette articulation singulière que met en lumière une étude de sociologie des genres conduite par Josselin Tricou. Son travail scrute la masculinité des prêtres catholiques, ses représentations, ses discours et leur évolution au fil des dernières décennies.
Ces deux ouvrages, vus de loin, devraient bien des points communs. Même domaine : la France. Même population : les clergés. Même question : quelles sexualités ? Pourtant, leur dissemblance est forte, et pas seulement parce que les siècles qu’ils explorent ne se ressemblent guère. L’historienne collectionne des pratiques sexuelles, et cet érotisme d’autrefois ne manque pas de piquant. Le sociologue, lui, cherche uniquement les tensions qui travaillent les discours contemporains et discerne partout des stratégies idéologiques. Jadis le sexe et ses jouissances, et désormais le genre, ses parlotes, son ennui. Autre temps, autre style.
UNE HISTOIRE ÉROTIQUE DE L’ÉGLISE
Quand les hommes de Dieu avaient le diable au corps
de Myriam Deniel-Ternant
Payot, 364 p., 21 €
DES SOUTANES ET DES HOMMES
Enquête sur la masculinité des prêtres catholiques
de Josselin Tricou
Préface d’Eric Fassin
PUF, 470 p., 23 €