« Consolation philosophique », de Vincent Delecroix
LA PHILOSOPHIE PEUT-ELLE CONSOLER ?
Emprisonné, torturé, il sait qu’il ne sortira pas vivant de cette prison de Pavie. Un demi-siècle après la fin de l’Empire romain, Boèce (v. 477-524) y est jeté, victime de sombres machinations. Homme de pouvoir, il avait été consul, et conseiller des rois. Homme de savoir, il a traduit Aristote en latin. Dans son cachot, pour tenir, il rédige La Consolation de philosophie.
Durant des siècles, ce sera le livre le plus lu en Europe – après la Bible. « Dame Philosophie » en personne vient visiter le piteux condamné, lui révèle où se tient le vrai bien, lui permet de congédier le désespoir. Son malheur s’évapore, en attendant que celui de toute l’humanité en fasse autant.
Vincent Delecroix ouvre par ce rappel le beau parcours qu’il a intitulé Consolation philosophique, mais pour souligner tout de suite combien nous sommes loin de ce classique de l’Antiquité tardive. Quand un malheur frappe, qui donc se précipite, avidement, sur des traités de métaphysique ou de morale ? Chacun juge d’emblée ces remèdes inefficaces, pressentant qu’ils ne seront d’aucun secours. A moins qu’ils ne servent de diversion temporaire à la peine, au même titre que tableaux, symphonies, romans-feuilletons et séries télé. En ce cas, la philosophie n’est plus voie royale vers le souverain bien, mais une sorte de jeu pour amateurs de complications, façon casse-tête et mots croisés.
Illusoire consolation
En vérité, l’antique projet de consolation par la pensée ne nous parle plus. Il faisait sens autrefois, en ces temps où la philosophie était manière de vivre autant que façon de raisonner. Aujourd’hui, ressusciter pareille médecine de l’âme est aussi vain que s’exercer au jeu de paume, souligne Vincent Delecroix, quitte à déplaire aux actuels marchands de bonheur philosophique. « C’est au contraire à nous guérir du désir de consolation que la philosophie œuvrerait plutôt, mobilisant les forces d’une conscience lucide et dégrisée et l’image d’un sujet adulte. »
Non seulement la philosophie ne consolerait de rien, mais elle ferait voir toute consolation comme illusoire. La raison suggère plutôt qu’il existe des souffrances inconsolables. Et, paradoxalement, cette seule pensée parfois apaise. Ce serait donc en nous privant de consolation que la philosophie pourrait soulager. Reste à discerner ce que l’on désire au juste en voulant être consolé. Se faire dorloter comme un enfant ? Cesser de souffrir ? Endurer autrement la souffrance ou bien ne plus l’éprouver pour un temps, ou encore la voir s’effacer à jamais ? Et que peut faire la raison dans pareil labyrinthe ? Les tours et détours du voyage proposé par Vincent Delecroix voient s’esquisser, se défaire et se recomposer les perspectives.
Consolation philosophique n’est pas un traité truffé de démonstrations déductives et contraignantes. Ce n’est pas non plus un vagabondage aléatoire. Le philosophe, professeur à l’Ecole pratique des hautes études, est fort d’une œuvre où voisinent à présent une dizaine d’essais et presque autant de romans. Aguerri aux exigences des concepts, il est rompu aux exercices de style. Cela donne à son périple philosophico-littéraire un charme réel. Il paraît nonchalant alors qu’il est fermement tenu. Construit, il semble aller au hasard. Savant, il se fait avenant. Cela console, on ne sait de quoi. D’autres lectures, peut-être.