« Le Nouveau Nom de l’amour », de Belinda Cannone
Qui se souvient encore de Philémon et Baucis ? Ce couple antique passait pour modèle de vertu. Sa fidélité exemplaire, de la jeunesse au grand âge, fut interrompue par la mort sans avoir été brisée. Tous deux, croit-on, furent indéfectiblement simples, hospitaliers, constants et heureux. C’était au temps lointain où le couple idéal se devait d’être éternel. Depuis que cette légende, souvent reprise, fut contée par Ovide dans Les Métamorphoses, beaucoup de vent a passé dans les alcôves. Divorces à répétition, familles recomposées, unions successives… nous aimons toujours, mais différemment.
Reste à cerner, avec précision, ce qui a changé. Est-ce l’amour, le couple, le désir, les représentations que nous nous en faisons ? Les conceptions religieuses, les comportements sexuels, les relations sociales ? Tout, évidemment – mais de quelle façon, dans quel ordre ? Où trouver les traces, témoignages et archives de ces mutations colossales, mais si difficiles à cerner, au point qu’elles pourraient paraître, par moments, presque insaisissables ?
Ces constats et interrogations ont fourni à Belinda Cannone l’impulsion de l’essai qui paraît aujourd’hui, Le Nouveau Nom de l’amour. De longue date, elle s’est intéressée à l’entrelacs des corps et de la chair du monde, dans ses essais – depuis L’Ecriture du désir (Calmann-Lévy, 2000) jusqu’à Petit éloge du désir (Gallimard, 2013) – comme dans ses romans, dont le dernier en date, Nu intérieur (L’Olivier, 2015), met en scène permanence et mutations des relations amoureuses.
Amour ne rime plus avec toujours
Aujourd’hui, au fil d’une quête enjouée et vagabonde, Belinda Cannone montre que nous rêvons encore d’un couple stable tout en sachant qu’amour ne rime plus avec toujours. Parce que la sexualité est devenue une dimension axiale de l’existence, et que le désir s’émousse plus souvent qu’il ne perdure. Mais aussi, dit-elle, parce que les femmes désormais assument, affichent et vivent leurs désirs, au lieu de subir ceux des hommes. Dans ce jeu instable entre ce qui demeure pérenne et ce qui change du tout au tout, le nouveau nom de l’amour devrait être amour-désir, fusion de corps-esprits.
Cet amour, explique l’écrivaine, inscrit dans la durée, pas dans l’éternité. Il nous fait passer d’une monogamie figée à une sorte de « polygamie lente », voyageant d’unions en unions, tout au long d’une existence dont, en outre, la durée ne cesse de s’accroître.
L’écriture est alerte, émaillée de multiples dialogues où l’on croise, comme autant de familiers, quantité d’œuvres et d’auteurs. Certains sont prévisibles, du Banquet, de Platon, à La Nouvelle Héloïse, de Rousseau, en passant par Tristan et Iseult et La Princesse de Clèves, sans oublier des contemporains comme Pierre Bourdieu et François Jullien. D’autres rencontres sont plus singulières, comme La Garçonne. Ce roman de Victor Margueritte – aujourd’hui oublié, mais qui fut à sa parution, en 1922, un immense succès – met en scène les premiers pas d’une émancipation des femmes que l’on ne pouvait encore nommer… qu’en y voyant une masculinisation.
On pourra regretter que le ton, entre essai et fiction, s’oblige excessivement, sans doute pour « faire vivant », à user de tant de petits dialogues entre amies qui semblent vite artificiels. Mais les questions posées importent, et n’ont évidemment pas fini de donner à penser.