Dans le temple du dieu Veyne
Ne croyez pas les Modernes. Ils vous diront que Paul Veyne est un grand historien contemporain, né en 1930, qu’il fut autrefois temps membre du Parti communiste, devint professeur au Collège de France, fut proche de Michel Foucault. Ils ajouteront que cet homme a tout lu, traduit Virgile, publié quantité d’ouvrages aux registres multiples, qui parlent d’Athènes, de Rome, de Palmyre, des gladiateurs, des philosophes et des bordels, qui évoquent Trimalcion, festoyant et libertin, aussi bien Sénèque, moraliste et austère. Tout cela est exact. Mais ce n’est qu’une façade, un décor, une façon de se dissimuler.
Ne le répétez pas : Paul Veyne est un dieu. A l’ancienne. C’est-à-dire malicieux, souverainement ironique, déconcertant, imprévisible. Capable de traverser les siècles, d’entrer dans les alcôves romaines, de dissimuler ses braconnages et ses rêves sous des habits savants – si parfaitement que nul ne sait plus, avec lui comme avec Nietzsche, ce qui relève de l’intuition et ce qui appartient au travail d’archives. Ce dieu semble assez intrépide pour dérober, comme Diogène, des offrandes sur les autels, mais assez généreux, en revanche, pour nous concocter des festins avec ses chapardages. Il est assez malin, enfin, pour se fabriquer, ici, un air difforme, là, une apparence modeste, ailleurs encore une silhouette de rebelle… Histoire, simplement, de masquer ses vrais pouvoirs.
Pour constater l’étendue des prouesses dont il est capable, il suffit de pénétrer dans le petit temple, magnifique et coloré, qui vient de lui être dédié. Ce temple de papier, ouvert à tous, est composé de textes disparates mais convergents, tous signés Paul Veyne, son pseudonyme favori. Là, il raconte sa vie, ses mémoires, ses amours, qu’elles fussent de lettres ou de chair, sous le titre Et dans l’éternité je ne m’ennuierai pas, que seul un dieu pouvait oser. Ou bien il décrit Palmyre sous les Césars, syrienne et grecque, parce qu’il a connu ses moindres ruelles, ou encore scrute à loisir les bizarreries des Grecs, leurs énigmes ou leurs limites. Il explore aussi les incongruités des Romains, leur folie, leur sagesse, aussi bien que celles de nos contemporains. Il célèbre tantôt Virgile et tantôt René Char, ou bien Michel-Ange et Michel Foucault. Caustique, sceptique, enthousiaste, désabusé… c’est selon. Toujours comme Nietzsche, finalement, dont le rire plane partout, dans l’ombre.
Hélène Monsacré, helléniste, éditrice et amie du dieu, est l’architecte de cet édifice, qu’accueille l’excellente collection « Bouquins », et qui s’emploie à faire « l’inventaire des différences », titre de la leçon inaugurale de Paul Veyne, qu’on écoutera également, quelque part dans le péristyle. S’il fallait définir le projet d’ensemble, ces mots extraits de Foucault, sa pensée, sa personne conviennent bien : « accueillir, avec la sympathie admirative d’un naturaliste pour l’inventivité de la nature, toute la diversité humaine avec ses excentricités, ses lubies, ses ridicules, ses excès, ses poussées de mégalomanie, ne pas en pleurer, ne pas se moquer ».
Faut-il ajouter que ce volume réjouissant et instructif est indispensable ? Oubliez le solstice d’hiver, la fête des Sigillaires où les Romains se faisaient des cadeaux, la naissance de Mithra et celle du Christ. Offrez simplement, à vous-même ou à d’autres, ces voyages intelligents.
UNE INSOLITE CURIOSITÉ
de Paul Veyne
Edition établie et présentée par Hélène Monsacré
Préface de Christophe Ono-dit-Biot
Robert Laffont, « Bouquins », 1 152 p., 32 €