Mort de la philosophe Monique Castillo
La philosophe Monique Castillo, née en 1948, est morte, le 22 septembre 2019, des suites d’une intervention chirurgicale liée à un cancer. Avec elle disparaît une figure éminente de la philosophie française, particulière par sa place et son style. Professeur hors pair, oratrice brillante, cette spécialiste de Kant n’était en rien une icône médiatique, pas plus qu’une chercheuse recluse dans sa bibliothèque. Elle incarnait un autre modèle, peut-être en voie de disparition, celui des esprits rompus aux analyses théoriques mais infatigablement ouverts sur le monde contemporain, attentifs à l’acuité et à la diversité de ses interrogations.
Agrégée de philosophie venue de la science politique, diplômée de Sciences Po en 1974, élève de Paul Ricoeur, Monique Castillo s’est d’abord engagée dans un doctorat de philosophie sous la direction de Simone Goyard-Fabre. Ce travail portait sur la philosophie de Kant, qui deviendra son auteur de prédilection et qui constitue le fil rouge de tout son itinéraire. Mais son approche du kantisme et de la philosophie critique était fort loin de ce qu’on reproche souvent à cette école. Le kantisme de Monique Castillo n’était ni ennuyeux, ni austère, ni formaliste. La pensée kantienne qu’elle ressuscitait et s’efforçait de rendre actuelle était centrée sur le cosmopolitisme, la construction de la paix, l’identité de Europe.
Cet esprit des Lumières était au coeur de ses travaux explicitement consacrés au maître de Königsberg, en particulier Kant et l’avenir de la culture(PUF, 1990), qui éclaire le rôle de la culture dans les progrès de droits de l’homme et de la condition humaine, et Kant, l’invention critique(Vrin, 1997). Surtout, Monique Castillo avait retenu de ce maître lointain le souci constant d’interroger philosophiquement le présent. On ne saurait oublier que Kant a été le premier philosophe à scruter la spécificité de son époque, notamment dans l’opuscule Qu’est-ce que les Lumières ? (1784), au lieu de ne disserter que sur des questions supposées éternelles.
Dans son sillage, et sur des thèmes issus de son œuvre, la philosophe s’est employée à élaborer des analyses ajustées au XXIesiècle, en réfléchissant par exemple, au fil d’une douzaine d’ouvrages, sur ce que deviennent aujourd’hui l’humanisme, la citoyenneté, la religion, l’identité ou l’éthique. Soucieuse de tenir ensemble versant théorique et versant pratique de ces interrogations, elle n’oubliait jamais que les progrès de la pensée doivent s’incarner dans des mesures concrètes, comme le montre en particulier son étudeMorale et politique des Droits de l’homme(Georg Olms, 2003).
C’est aussi autour des questions cruciales de la guerre et de la paix que la philosophe a déployé, ces quinze dernières années, livres, articles et conférences, en publiant notamment Connaître la guerre, penser la paix(Kimé, 2005) et en étant membre du comité de rédaction de la revue Inflexions de l’armée de terre, où elle a publié de nombreux articles.
Ses étudiants à l’université de Poitiers, puis à celle de Paris XII-Créteil, ne sont pas les seuls, et de loin, à conserver le souvenir de ses analyses vives, parfois éblouissantes de pertinence et de clarté. Car Monique Castillo, à côté de ses activités universitaires, savait multiplier interventions et conférences, notamment au Mardis de la Philoces quinze dernières années, à l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale, au Cercle Condorcet d’Auxerre et en bien d’autres institutions.
Elle perpétuait ainsi, au féminin, la figure multiséculaire du penseur citoyen, la transformant en celle de femme de combat, désireuse de ne pas lâcher l’attention au concept sans rien céder non plus du souci des détails, parce les deux, à ses yeux, sont inséparables et que le progrès n’est possible qu’en les tenant ensemble. Son dernier livre publié, Faire Renaissance. Une éthique publique pour demain(Vrin, 2016) s’employait à lutter contre le déclinisme et l’individualisme. Ces combats, à la fois intellectuels et politiques, Monique Castillo les menait par écrit, mais aussi, et avec une ardeur singulière, face à ses auditoires. Par sa présence, son enthousiasme, son endurance et sa virtuosité, cette philosophe était une femme de paroles.
Roger-Pol Droit