L’ère de la terreur « low cost »
Un couteau de cuisine, un smartphone. Voilà qui suffit, désormais, à semer la terreur. Ne pas oublier, bien sûr, la détermination à tuer, la résolution d’y laisser sa peau s’il le faut. Pas besoin d’infrastructures, de réseaux dormants, de longs préparatifs. Par rapport aux moyens mis en oeuvre, l’impact de ces agressions se révèle démesuré. Un seul assassinat – lâche, sordide, mais isolé – semble défier l’ensemble des forces de maintien de l’ordre, mobilise les plus hautes instances de l’Etat, déclenche un raz-de-marée médiatique. Une seule vidéo sur les réseaux sociaux, quelques images qui viralisent, et des milliers de relais aussitôt s’activent et s’indignent… Ces caisses de résonance se mettent en route au quart de tour.
L’acte est abject mais demeure circonscrit, son audience, au contraire, est illimitée, instantanée, incontrôlable. Quelques personnes sont réellement tuées, des millions d’autres sont psychiquement blessées, inquiètes, effrayées. Minimum de moyens, maximum d’effets. Le monde numérisé-globalisé permet au terrorisme low cost d’exploiter une relation acte-retombées au rendement fantastique.
C’est pourquoi il est plus que probable que cette forme de terreur « couteau-vidéo » va s’amplifier. Les assassinats de cette semaine, à Magnanville, s’inscrivent dans une série d’attaques islamistes visant policiers, militaires, représentants de l’ordre. Aux Etats-Unis, le massacre d’Orlando est du même type, à ceci près qu’il est aussi simple, outre-Atlantique, d’acheter une arme de poing qu’un couteau. Chacun comprend clairement que plus Daech va perdre du terrain, militairement, en Irak et en Syrie, plus ces attentats vont s’intensifier. Il n’est pas besoin d’être expert pour se rendre compte qu’une possible défaite totale de l’Etat islamique sur le terrain ne mettra pas un terme au djihadisme islamiste. La lutte est bien à envisager sur une durée longue. Reste à savoir avec quels moyens, quelles armes, quelle stratégie.
Pour l’instant, l’impuissance des démocraties est évidente. Cette guerre est plus asymétrique que jamais. Surveiller les faits et gestes de tous les suspects possibles est exclu, beaucoup d’entre eux ne sont d’ailleurs pas identifiés. Empêcher les médias de diffuser en boucle images et descriptions est également impossible. Nous sommes donc sans moyen de prévenir efficacement ce type d’attentat et nous ne pouvons effacer leur impact. Malgré tout, rien ne dit que cette impuissance soit totale, ni surtout qu’elle soit définitive. Certes, il est indispensable d’être lucide sur la faiblesse de nos défenses actuelles, mais il faut aussi s’aviser que ressasser « nous ne pouvons rien » est inutile. Pis : cette litanie renforce l’action des terroristes. Et se reconnaître sans défense conduit à se résigner, à consentir, à se coucher. Dès lors, la première exigence est d’affirmer haut et fort notre conviction de pouvoir vaincre le djihadisme. Ce ne seront pas que des mots si des actes les accompagnent. Car nous ne sommes pas si démunis, et des réponses nouvelles doivent et peuvent s’inventer.
De nouvelles réponses judiciaires sont indispensables. Tant que des activités de propagande ou de recrutement liées au terrorisme islamiste seront pénalisées de quelques mois de prison seulement, on retrouvera à pied d’oeuvre, au terme d’une courte sanction, des combattants pourtant déjà repérés, surveillés, condamnés. Je ne suis ni juriste ni expert en criminologie, mais il doit exister des solutions pour renforcer la surveillance des terroristes potentiels comme la sanction de ceux qui agissent.
Surtout, il est possible à chacun de faire face – dans sa propre tête, dans sa manière même de penser. Cette guerre se déroule principalement dans les esprits. Elle est constituée d’images, de représentations, d’émotions tout autant, sinon plus, que d’armes, de victimes et de sang. Ce que visent les djihadistes : amoindrir nos capacités de résistance, user notre combativité. A défaut de pouvoir agir sur le terrain, chacun de nous peut tenter de travailler son attitude interne. Au lieu de se recroqueviller, de courber l’échine ou de se claquemurer dans la dénégation, il est indispensable de cultiver en soi la colère, la volonté de résistance, le désir de vaincre. Il se pourrait que ce soit décisif. C’est dans l’esprit de chacun que la terreur « couteau-vidéo » gagne ou perd du terrain.