Vivre parmi les cons, mode d’emploi
Non, ce n’est pas une bouffonnerie. Ou plutôt, comme toute plaisanterie vraiment bonne, celle-ci se révèle vite sérieuse, en son fond. Maxime Rovère est connu, jusqu’à présent, comme spécialiste de Spinoza. Il a notamment édité sa Correspondance(GF, 2010), a consacré plusieurs travaux au philosophe d’Amsterdam, et l’a mis en scène, en 2017, dans un volumineux roman, Le Clan Spinoza, aujourd’hui réédité en poche. Sa familiarité avec des ouvrages mis à l’Index n’empêche pas ce chercheur d’enseigner actuellement à l’Université pontificale catholique de Rio de Janeiro.
Toutefois, ces singularités ne conduisent pas nécessairement à se préoccuper des cons et de leur omniprésence. Pourtant, dans cette enquête ironico-philosophique sur ce que sont « les cons » – aussi difficiles à définir qu’à éviter – une influence indirecte de l’Ethiqueest sensible. Si la présence de la démarche spinoziste est nette, c’est qu’il ne s’agit pas de blâmer ou de louer, mais de comprendre pour agir. Comment trouver des moyens efficaces de « faire avec » les innombrables énergumènes qui nous horripilent, puisqu’il n’est pas question de les exterminer ?
Tel est le point de départ de ce manuel de survie : on peut concevoir un monde idéal où la stupidité n’existerait plus, mais le monde réel demeure à jamais saturé de cons – et de connes. Surgissant n’importe où – rue, transports, travail, famille… -, faisant et disant n’importe quoi, sans même en prendre conscience. Sans coup férir, leur présence gâche tout – humeur, projets, instants. Ces ordures qui vous pourrissent la vie, vous les détestez, mais ne savez qu’en faire… d’autant que cette engeance a pour propriété d’entrer en collision avec les trajectoires destinées à la fuir.
Heureusement, Docteur Rovère est là. Médecin à « Spinoza sans frontières » – association imaginaire mais efficace – il prend les choses en main – avec tact, subtilité, détermination. Inutile de détester les cons, dit-il, cela ne fait qu’accroître leur obstination. Pas besoin de les sermonner, de leur faire morale, de tenter de les soumettre aux normes à la raison et du droit, aux règles du vrai. D’abord, ils n’en ont rien à faire. Ensuite, ces discours n’expriment que votre propre détresse, et sont donc tout-à-fait vains. La bonne méthode : les faire parler, les écouter, entrer dans le jeu de leur plainte.
Peu à peu, en vous en apprendrez de belles, notamment sur les lois, l’Etat et le pouvoir. Et aussi sur vous-même. Maxime Rovère soutient en effet que pour dissiper les crispations provoquées par les cons, il faut saisir qu’ils n’existent pas par eux-mêmes, ne perdurent pas comme des substances figées. Ils naissent et survivent, avant tout, par interaction. Une « éthique interactionnelle » serait donc la clé du problème, car elle de saisir que c’est aussi avec votre complicité que les pires de vos semblables existent. Et réciproquement : vous êtes, finalement, le premier des cons. Ce qui complique fortement la situation, mais peut aussi permettre de la transformer.
L’exercice est pertinent, parfois subtil à l’excès, à force de vouloir passer, sans cesse, du quotidien trivial à l’acuité des concepts et retour. Comment dit-on, familièrement, en deux fois trois lettres, « c’est stimulant, astucieux, amusant, mais je n’en dirai pas plus » ? Ah oui, ça se dit : « pas con !… ».
QUE FAIRE DES CONS ?
Pour ne pas en rester un soi-même
de Maxime Rovère
Flammarion, 204 p., 12 €