De l’antisionisme à l’antisémiitisme
Plus que jamais, Israël se trouve au coeur de l’actualité. Récent retrait des Etats-Unis du traité sur le nucléaire iranien, prochaine inauguration de l’ambassade américaine à Jérusalem, qui va coïncider avec les 70 ans de cet Etat, le 14 mai. En effet, ce lundi, à 16 h, il y aura juste sept décennies que David Ben Gourion, à l’expiration du mandat britannique, a lu la Déclaration d’indépendance d’Israël, dans la galerie principale du Musée de Tel Aviv. Derrière lui trônait le portrait de Theodor Herzl (1860-1904), auteur de l’Etat des Juifs (1896), texte fondateur du mouvement sioniste.
Ces événements interviennent dans un contexte tendu, où se juxtaposent notamment manifestations à Gaza, risques de missiles iraniens, soutiens divers au boycott d’Israël de la part d’intellectuels, d’artistes et d’hommes politiques de gauche et d’extrême gauche, sans oublier les vieilles haines antijuives de l’extrême droite. Le tout sur fond de violences antisémites croissantes en Allemagne comme en France, de discours antisémites envahissant jusqu’au Labour Party britannique, de mise en lumière d’un antisémitisme musulman, longtemps occulté et désormais reconnu.
La question centrale, qui va se trouver une fois de plus réactivée et intensifiée dans les temps qui viennent, est celle des liens entre antisionisme et antisémitisme. Elle est devenue, ces dernières années, un point de discorde permanent : critiquer Israël, s’opposer à sa politique, est-ce être ennemi du peuple juif ? Cette interrogation suscite tour à tour incompréhensions, dénégations, engagements opposés, querelles sans fin. Les relations entre antisionisme et antisémitisme constituent sans doute l’un des points les plus clivants de notre époque.
Vu de Sirius, le problème semble vite résolu. De bonne foi, quantité de gens croient pouvoir séparer les deux. Tout en combattant Israël et sa politique, en boycottant ses produits ou ses manifestations culturelles, en contestant s’il faut jusqu’à son existence, beaucoup demeurent intimement persuadés que leurs convictions humanistes suffisent, que leurs engagements universalistes plaident en leur faveur. Ils n’ont rien de commun, pensent-ils, avec l’idéologie raciale du nazisme, respectent les millions de victimes de la Shoah, se défendent donc d’être animés de la moindre haine anti-juive. Accusés d’être antisémites, ils considèrent l’accusation comme une manipulation, une tentative de censurer les critiques et de disqualifier les luttes militantes.
Encore un effort, et voilà qu’ils pourront se mettre à parler d’invention de… la « propagande juive », de manœuvre du « sionisme international », de complot pour étouffer toute résistance contre la domination de la finance. Car la frontière est poreuse, et les limites vite franchies, entre opposition à Israël et clichés de l’antisémitisme d’aujourd’hui. Ce qui oblige à rappeler qu’il n’existe pas un seul antisémitisme – dont le modèle unique serait la doctrine nazie d’une prétendue « race juive » à exterminer. Il existe quantités de formes de la haine antijuive à travers l’histoire. De la Rome antique jusqu’à La France juive d’Edouard Drumont (1886), cette haine a revêtu d’innombrables oripeaux, chrétiens ou musulmans, raffinés ou vulgaires, de Voltaire à Wagner, de Goebbels au gauchisme.
Son histoire est d’une diversité sans pareil, comme d’une monotonie sans nom. Car les victimes, au bout du compte, sont toujours juives. Or le sionisme n’existe que par et pour cet objectif : que les juifs sortent du statut de victimes. Sans doute est-ce cela qui est intolérable à ceux qui font preuve de compassion pour les juifs tant qu’ils dispersés et affaiblis, humiliés, et massacrés. Mais quand ils se défendent, s’organisent, remportent des victoires… alors rien ne va plus !
Plus l’antisionisme s’intensifie et s’exprime, plus il montre combien il se trouve, dans le fond, très mal à l’aise avec l’existence même d’une identité juive qui s’affirme et met en œuvre son droit à se défendre. De ce point de vue, les actions qui s’organisent de toutes parts pour délégitimer Israël – sur tous les registres : juridiques, moraux, culturels… – sont remarquablement pernicieuses. Car elles tendent à faire croire que le droit et l’éthique seraient toujours d’un seul côté. Ces campagnes militantes ne font pas simplement « le jeu » de l’antisémitisme. Elles finissent par en constituer une partie intégrante, que leurs promoteurs le veuillent ou non.
On ne naît pas antisémite. Mais, à force d’être antisioniste, on le devient.