Jupiter, Mars… et quoi d’autre ?
Jupiter et Mars ne se contentent plus d’être des dieux de la Rome antique. Ni des planètes majeures du système solaire. Ils sont devenus des visages du chef de l’Etat. Le président « jupitérien », supposé planer en silence très au-dessus des bruyants médias, a maintes fois été scruté. Le président « martial » l’a été aussi, depuis sa première descente des Champs-Élysées jusqu’aux récentes frappes en Syrie, inaugurant activement son rôle de chef des armées. L’entretien tendu, sur BFMTV et RMC, a réactivé les traits de ces deux visages. Les uns ont cru voir Jupiter tombant de l’Olympe, d’autres ont loué l’habileté de ses passes d’armes. Ce couple s’est imposé : Jupiter, dirigeant de haut, et Mars, combattant de près – par les mots, sous l’oeil des caméras, ou par les missiles en Syrie. En fait, il manque un élément. Pour le trouver, il faut se tourner vers un arrière-plan inattendu mais éclairant. Celui de la Rome antique, et de sa religion.
C’est bien là qu’habitent, ce n’est pas une surprise, Jupiter et Mars. Le premier incarne bien à Rome le pouvoir suprême, lointain et absolu. Maître cosmique, il est caractérisé par une toute-puissance qui évoque la magie. Le second, comme chacun sait, manie les armes. Il aime le conflit, va au contact, sans esquive ni tergiversation. Mais, chez les Romains, ces deux-là ne forment pas un couple ! Ils appartiennent à trio, dont le troisième membre est beaucoup moins connu. Il répond au doux nom de Quirinus. C’est le dieu de la paix, de la fécondité, des récoltes, de la prospérité.
On doit au grand savant que fut Georges Dumézil (1898-1986) d’avoir reconstitué le sens et l’origine de cette triade. Son ouvrage, Jupiter-Mars-Quirinus, publié par Gallimard en 1941, est devenu depuis un classique en son genre. Plonger dans cette enquête, qui semble sans rapport avec l’actualité française, peut-il nous apprendre quelque chose sur Emmanuel Macron ?
Au premier regard, on est très loin de 2018. Ce trio romain porte en effet la trace des conceptions indo-européennes. Ce fonds d’idées et de croyances très ancien se repère dans les mythes et les représentations politico-religieuses de civilisations très différentes : l’Inde comme la Scandinavie, la Grèce comme l’Iran. Depuis le XIXe siècle, les érudits ont scruté les similitudes, nombreuses et frappantes, entre des termes, des rituels et des récits que l’on croyait auparavant sans relation les uns aux autres. Ces parallélismes ont conduit à l’hypothèse d’un foyer originaire commun de ces cultures éloignées. Partout s’y retrouvent en effet, sous des formes chaque fois diverses, trois fonctions : le savoir-pouvoir (prêtres, lettrés, intellectuels), le combat (guerriers, gardiens, chevaliers), la production (paysans, artisans, commerçants).
Revenons au présent, et au président. Nous avons en magasin Jupiter et Mars. Mais que devient donc Quirinus ? Où est passé « le dieu de la prospérité agricole complétant la force guerrière de Mars et la toute-puissance magique de Jupiter », comme dit Dumézil ? Il faut rappeler que ce dieu symbolise évidemment, au-delà des réalités rurales, l’abondance et le bien-être. Or Quirinus se fait attendre. On l’espère, on ne le perçoit pas encore. Son absence ne se manifeste pas seulement chez les agriculteurs en colère, les retraités déçus, les salariés perplexes.
Grave lacune. Pour cette raison simple : même si le nom de Quirinus n’est apparu nulle part dans sa campagne – heureusement !… -, ce dieu antique a inspiré la promesse centrale d’Emmanuel Macron : rendre au pays non seulement le sens de son histoire, sa dignité et sa paix, mais sa prospérité, son abondance productive, sa fécondité inventive dans un monde en mutation. Ce motif a porté des électeurs à voter pour lui aux présidentielles, et aux législatives pour les candidats de La République en marche. Être Jupiter et Mars ne sont que des moyens pour tenir cet engagement premier. « Je serai Quirinus » n’a cessé de répéter, en fin de compte, le candidat. Une fois élu, le président en fit autant. Avec d’autres termes, une fois encore. Mais c’est bien ce que les Français ont entendu, et attendu.
Deux conclusions seraient possibles. En grande focale, l’une soulignerait les continuités reliant monde antique et hypermoderne : au sein des mutations subsistent des représentations-clés. L’autre, en gros plan, rappellerait que le pays attend des résultats économiques plutôt que des symboles et des postures. Quirinus, vite !