« Bonne année ! » … une philosophie ?
La santé, surtout, parce que, on a beau dire, c’est quand même essentiel. Et, bien sûr, le bonheur, la prospérité, la réussite. Allez, le meilleur, tant qu’on y est… Pour la famille, les amis, les voisins, et même les gens qu’on ne connaît que vaguement, de loin. Chaque début d’année, on souhaite ainsi, à quantité de ses semblables, des kyrielles de bienfaits. Rituellement, banalement. Hypocritement ? Pas si simple. Bien sûr, personne n’y croit. Pourtant, tout le monde, dans le fond, a bien envie que ce soit vrai.
Ce n’est donc pas pour rien que Janus, l’antique dieu de janvier, possède deux visages : il ne regarde jamais passé et avenir avec les mêmes yeux. Il sait que les jours d’hier furent médiocres, contrastés, chaotiques. Mais il se jure que demain tout ira autrement, le monde sera refait à neuf, la vie reprise en mains. D’un bout à l’autre de la planète, cette promesse cyclique prend des formes naïves et fugaces : feux d’artifice, champagne, cris de joie, bonnes résolutions, cartes de vœux… Des esprits qui se croient lucides regardent ce spectacle comme une illusion pitoyable, mêlant candeur grotesque et aveugle bêtise.
Et s’ils avaient tort ? S’il y avait un usage philosophique du nouvel an ? Si l’on pouvait imaginer que ce vague vœu d’un destin différent se transformât en existence assumée, durablement libre, disant intégralement « oui » à la vie, chacun affirmant ce qu’il porte en lui ? C’est ce que propose un essai enlevé, enjoué, intitulé simplement Nietzsche et le nouvel an. Nietzsche a en effet beaucoup écrit – pas seulement « à l’occasion » de la nouvelle année, mais bien « sur » l’idée même d’année nouvelle. Professeur agrégé de philosophie, enseignant dans un lycée, préparant un thèse sur le Gai savoir, Stéphane Floccari rassemble et analyse de façon lumineuse les multiples propos du philosophe sur ce tournant et sur sa promesse énigmatique.
En fait, Nietzsche en parle tout au long de sa vie – des noëls de sa jeunesse à son effondrement, à Turin, en 1889, un jour de janvier. « Ô toi Janvier le plus beau ! » écrit-il, à Gênes, en 1882. La formule figure en exergue du livre 4 du Gai savoir, intitulé Sanctus Januarius. C’est là que naît, première pensée de l’année, le grand « oui » à la vie, l’Amor fati capable de mettre fin à l’engeance des récriminations grincheuses, macérations inutiles et ressentiments nauséaux. « Je veux, en n’importe quelle circonstance, n’être rien d’autre que quelqu’un qui dit oui » écrit Nietzsche au début de ce livre 4. Ce paragraphe, numéro 276, s’intitule évidemment Pour le Nouvel An. Stéphane Flocarri en propose une traduction inédite et une analyse intéressante. Toutefois, son propos est moins de commenter Nietzsche que d’inciter chacun à marcher dans cette direction, en osant trouver son chemin propre.
Il y a dans cet essai plusieurs livres. Une réflexion sur les rituels de nouvelle année cohabite avec une exploration de Nietzsche qui débouche sur une exhortation à s’inventer une existence philosophique. Ces trois fils, habilement tressés, auraient sans doute gagné à être fondus dans une perspective d’ensemble. Il n’en reste pas moins que cette invitation à mettre en pratique le « Deviens ce que tu es » nietzschéen se lit avec profit. Qu’elle soit utile, voilà un vœu.
NIETZSCHE ET LE NOUVEL AN
de Stéphane Floccari
Encre marine, 254 p., 17,50 €