Retour sur les écrits anti-juifs de Luther
La haine des Juifs, chez Luther, s’est exprimée avec une virulence rare. A la fin de sa vie, dans le traité intitulé Des Juifs et de leurs erreurs (1543), il écrit par exemple : « qu’on incendie leurs synagogues et qu’on recouvre de terre et ensevelisse ce qui refuse de brûler, afin que plus personne n’en voie la moindre trace pour toute l’éternité (…) qu’on abatte et qu’on rase leurs maisons de la même façon, car ils y pratiquent exactement la même chose que dans leurs synagogues (…) qu’on leur confisque tous les livres de prière et tous les exemplaires du Talmud (…) qu’on interdise à leurs rabbins, sous peine de mort, de continuer à enseigner (…) qu’on interdise aux Juifs la libre circulation, car ils n’ont rien à faire sur le territoire (…) qu’on leur confisque toute monnaie et tous bijoux en argent et en or (…). » Rien d’étonnant à ce qu’à Nuremberg, en 1946, Julius Streicher, compagnon de toujours de Hitler, directeur du journal antisémite Der Stürmer, ait pu déclarer que Luther aurait dû être sur le banc des accusés. Ces faits sont connus, étudiés et discutés en Allemagne de longue date. Ils demeurent largement ignorés en France, où la traduction de ce texte date de 1543 n’est parue qu’en… 2015 (1).
C’est pourquoi il faut lire la traduction de l’intéressant travail de Thomas Kaufmann, paru à Stuttgart en 2014. Professeur d’histoire de l’Eglise à l’université de Göttingen, spécialiste de la Réforme, ce chercheur se confronte aussi lucidement que possible aux dfférents aspects de cet antisémitisme. Avec pour mot d’ordre qu’« il n’est pas admissible d’avoir une relation naïve à Luther », son enquête, fort bien documentée, s’emploie à historiciser la haine des Juifs de Luther, sans pour autant amoindrir sa portée. Il en rappelle notamment l’émergence progressive, certains textes de Luther, comme Que le Christ est né juif (1523) étant plus proches d’appels à la tolérance que de la fureur finale. Il relie également cette violence aux terreurs personnelles de l’homme ainsi qu’à l’horizon mental du XVIe siècle, sans oublier toutefois que son intensité va « au-delà de l’antijudaïsme chrétien traditionnel » et « présuppose l’antisémitisme moderne », mais sans la confondre pour autant avec les politiques raciales d’extermination qui s’emploieront, au XXe siècle, à vouloir y trouver caution.
(1) Des Juifs et de leurs erreurs Edition critique. Traduit de l’allemand par Johannes Honigmann. Introduction et notes par Pierre Savy, Honoré Champion, 2015.
Roger-Pol Droit
LES JUIFS DE LUTHER
(Luthers Juden)
de Thomas Kaufmann
Traduit de l’allemand par Jean-Marc Tétaz
Labor et Fides, 230 p., 25 €