PÉRÉGRINATIONS PARMI LES CLASSIQUES CHINOIS
Un classique ? Une œuvre qui parle toujours, quelle que soit l’époque, parce que modèle, réserve de normes, repère de civilisation. Mais on ne naît pas classique, on le devient. La fabrication d’un canon est souvent laissée pour compte, alors qu’elle est décisive. La sélection qui distingue les textes, les instaure en composants majeurs de l’identité d’une culture, est évidemment décisive.
C’est ce que rappelle Benoît Vemander, professeur à l’université Fudan de Shanghai. Dresser la liste des classiques a constitué, dans l’histoire chinoise, une tâche plus décisive que partout ailleurs. Car un « rôle politique prééminent » était dévolu aux œuvres canoniques : elles nourrissaient l’éducation, fournissaient la trame des autres productions littéraires.
Le sinologue restitue donc l’élaboration des corpus d’œuvres classiques – neuf, ou treize – et les passe en revue. L’ouvrage peut se lire comme une introduction savante à ces textes fondateurs. Il en expose les singularités, en tenant compte des dernières découvertes archéologiques comme de la critique contemporaine. Mais on aurait tort de réduire cette vaste entreprise à une topographie des piliers de la civilisation chinoise, depuis les Odes jusqu’aux taoïstes, en passant Mencius et Mozi.
Car Benoît Vemander propose également une réflexion très élaborée sur les manières de lire. Doit-on aborder les textes selon une stratégie préétablie ? Peut-on les lire tels qu’ils sont, comme ils se donnent, ou est-ce illusion ? Convient-il de les aborder selon la structure de leur composition, la silhouette supposée de leur auteur, les éclairages fournis par les commentaires ?
Ces questions sont explorées sans oublier l’intervalle linguistique et culturelle qui sépare œuvres chinoises et lecteurs européens. L’auteur convoque notamment la pensée de Hans-Georg Gadamer (1900-2002) et aboutit à intéressante une défense et illustration de la lecture comme expérience de trajets en équilibre, attentifs aux « extraits lapidaires » comme aux « structures cachées », circulant « entre le plus éclatant et le plus ombreux », capables de faire converser des points de vue incommensurables.
Il arrive que pareils points de vue se rencontrent sans pouvoir ni se comprendre ni vraiment dialoguer. C’est alors cette impossibilité même qui devient instructive. Voilà ce que confirme à sa façon la première traduction française d’un traité chinois de 1623, L’Aide à la réfutation de la sainte dynastie contre la doctrine du seigneur du ciel. Ce n’est pas à proprement parler un classique. Son auteur, Xu Dashou, est un personnage obscur. Mais sa tentative de réfutation du christianisme au nom des traditions confucéennes et bouddhistes nous en apprend beaucoup sur la Chine comme sur l’Europe.
On mesure en effet, au fil de ses dix critiques successives des discours des missionnaires jésuites, en particulier celui de Mateo Ricci (1552-1610), les difficultés insurmontables qu’un lettré d’alors rencontrait pour saisir les notions clés du dogme chrétien, de la Création à l’Incarnation, du pêché à la vie éternelle. Publié dans la remarquable « Bibliothèque chinoise », ce texte – établi par Lai Yueshan est traduit annoté par Thierry Meynard et Thérèse Yang Hongfan – invite à un voyage dans l’écart des visions du monde. Où l’impossibilité de comprendre se révèle instructive.
COMMENT LIRE LES CLASSIQUES CHINOIS ?
de Benoît Vemander
Les Belles Lettres/essais, 336 p., 35 €
AIDE A LA RÉFUTATION DE LA SAINTE DYNASTIE CONTRE LA DOCTRINE DU SEIGNEUR DU CIEL
de Xu Dashou
Les Belles Lettres, « Bibliothèque chinoise », 110 p. 29 €