« Pour une médecine humaine », de Gérard Reach
La médecine est-elle malade ? Il est sûr, en tout cas, qu’un grand malaise l’habite, dont le diagnostic n’est pas souvent posé. Chacun évoque le manque de personnels, de crédits, de politique cohérente. On se préoccupe des délais d’attente pour un rendez-vous ou des frais pris en charge, de l’efficacité des traitements et de la sophistication des appareils. Tout ceci importe, évidemment. Mais quelque chose d’autre, de manière latente et profonde, constitue le malaise. De plus en plus, qu’ils soient généralistes ou spécialistes, les médecins traitent des pathologies, au lieu de soigner des personnes. Les analyses se perfectionnent, les images se précisent, les statistiques s’aiguisent, les molécules efficaces se multiplient… mais les patients ont l’impression de n’être ni écoutés ni entendus.
Or une consultation, et toute relation de soin, est d’abord une rencontre. Entre un professionnel, avec son savoir et ses compétences, et un malade avec son histoire, ses mots, sa singularité. Rencontre entre deux personnes, en fait – jamais uniquement entre une expertise scientifique et un cas clinique. Voilà ce que rappelle, avec une force rare, le professeur Gérard Reach dans un essai éminemment original et intéressant, Pour une médecine humaine. Diabétologue, professeur émérite à l’université Sorbonne-Paris-Nord, membre de l’Académie de médecine, il a déjà à son actif plusieurs essais, notamment Pourquoi se soigne-t-on ? (Le Bord de l’eau, 2005) et Une théorie du soin (Les Belles Lettres, 2010).
La médecine, d’abord une rencontre de personnes qui parlent et pensent
Avec ce nouveau livre, il rassemble les leçons de multiples cours et séminaires où il a aidé, au fil des années, les étudiants en médecine et les praticiens à lire attentivement les philosophes. La démarche peut surprendre. Elle n’en est pas moins remarquable de cohérence. Si la médecine est bien d’abord une rencontre de personnes qui parlent et pensent, s’est dit Gérard Reach, alors il convient de chercher à comprendre comment se définit une personne, en quoi consistent la pensée, la parole – et l’altérité, et l’interrelation humaine. Et ce sont bien les philosophes, avant tout, qui ont traité de ces questions.
Le médecin s’est donc mis à lire quantité de textes – d’Hannah Arendt à Emmanuel Levinas, de Descartes et Spinoza à Wittgenstein et Derek Parfit, en passant par Freud, Martin Buber et bien d’autres –, non pas pour faire de la philosophie, mais pour mieux faire de la médecine. Et commencer à surmonter les obstacles suscités par l’objectivation systématique des gestes thérapeutiques, au détriment de la parole et des échanges. Le parcours est impressionnant par son ampleur et sa richesse, qui rendent vaine toute tentative de résumer. Mais le résultat est à retenir : pour redevenir humaine, la rencontre entre médecin et patient doit s’efforcer de combiner deux éléments distincts, la consultation, forcément asymétrique (l’un possède une compétence, l’autre appelle à l’aide), et la conversation, où les interlocuteurs sont égaux, se parlent et s’écoutent, dans leur singulière étrangeté.
Lecture à prescrire aux étudiants, aux médecins en exercice, aux patients curieux, aux responsables politiques comme à tout esprit éclairé. Posologie selon besoins. Pas d’effets indésirables. Au contraire. On n’oubliera pas que la santé sera inévitablement un des grands chantiers des années à venir. Il serait voué à l’échec si l’exigence de réhumaniser la médecine n’était pas sérieusement prise en compte.