FRÉDÉRIC NEF, ENTRE LOGIQUE ET MYSTIQUE
Morte et enterrée, la métaphysique ? Nullement. Certes, depuis Kant jusqu’au Cercle de Vienne, elle fut maintes fois proclamée dépassée, inutile ou même dépourvue de sens. Ce constat de décès était hâtif. Les dernières décennies l’ont montré : quantité de recherches, d’approches nouvelles, de débats pointus et d’écoles émergentes attestent de la vitalité des interrogations métaphysiques. Impossible de les réduire à l’antique « philosophie première » ni à la question de « l’être en tant qu’être ». Elles portent aussi bien sur la nature des objets les modalités de leur existence que sur nos manières d’en parler et de les concevoir.
Parmi les rares artisans français de cette reconstruction essentiellement anglo-saxonne, le philosophe Frédéric Nef occupe une place à part. Auteur notamment de Qu’est-ce que la métaphysique ? (Gallimard, 2004), il a suivi un parcours particulièrement atypique, le conduisant non seulement de Bordeaux aux Etats-Unis, d’Amsterdam au CNRS, puis de l’Université de Rennes à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences sociales, mais aussi de la linguistique à l’ontologie et de la logique à la mystique. Auteur d’une bonne quinzaine de livres, parmi lesquels L’objet quelconque et Les propriétés des choses (Vrin, 2001 et 2006) ou encore La force du vide. Essai de métaphysique (Seuil, 2011), il voit aujourd’hui une vingtaine de ses collègues, amis ou étudiants regrouper leurs textes en son honneur.
Contrairement aux vieilles habitudes, les hommages convenus ont laissé place à des discussions et des objections, auxquels Frédéric Nef répond, article par article, à la fin du volume. Il faut préciser, pour éviter les malentendus, que l’ensemble demeure réservé aux lecteurs experts. Mais il fournit une occasion d’évoquer le travail multiforme d’un philosophe qui mérite d’être mieux connu. Il a construit en effet une multitude de passerelles entre des recherches disparates – menées dans le champ de linguistique, de la sémantique, de la logique modale – et les questions actuelles de la métaphysique. Chemin faisant, il a contribué à faire découvrir nombre de penseurs à la fois intéressants, difficiles et mal connus, tels l’allemand Alexius Meinong (1853-1920) ou le britannique John Mac Taggart (1866-1925).
C’est surtout la diversité des thèmes abordés par Frédéric Nef qui est à retenir. Le vide, l’inexistence paradoxale des personnes, l’expérience mystique, conçue comme réalité spécifique et savoir incomparable, figurent parmi les sujets qui reviennent, au fil du temps, dans ses préoccupations. Sans oublier nos embarras pour dire et concevoir le trépas, au centre d’un essai paru il y a quelques mois, La mort n’existe pas (Cerf, 2021). Ajoutons qu’il est un des rares penseurs français d’aujourd’hui prenant au sérieux les logiciens bouddhistes de la voie du Milieu, qui manient les subtilités de la dialectique pour conduire à la vacuité. Car c’est à tort qu’on s’imagine les mystiques irrationnels. Au contraire, qu’il s’agisse des maîtres indiens et tibétains, ou bien des mystiques rhénans et de la théologie négative, les liens entre usage de la rationalité et expérience mystique sont plus étroits et moins paradoxaux qu’on ne le pense.
Le mérite de Frédéric Nef est de le rappeler savamment, mais aussi de poursuivre ce mouvement avec les outils intellectuels de notre époque. À sa manière, en faisant de notions connues un usage inhabituel. Une œuvre à découvrir, à des années-lumière de l’agitation qui sature l’actualité.
MÉTAPHYSIQUE ET ONTOLOGIE
Autour de Frédéric Nef.
Objections et réponses
Textes réunis sous la direction de
D. Berlioz, F. Drapeau Vieira Contim et F. Loth
Vrin, 378 p., 32 €