« Face à la pandémie et au djihadisme, deux guerres en même temps »
Dans l’actualité, pandémie et terrorisme se télescopent. Assassinat de Samuel Paty, montée en flèche des contaminations, mesures de reconfinement et tuerie dans une église de Nice font s’entrecroiser deux angoisses et deux mobilisations. Deux guerres ? Oui, à condition de préciser en quel sens.
Car le terme est contesté. Doit-on parler parler de guerre seulement en cas de conflit ouvertement déclaré entre des Etats, engageant des troupes, s’affrontant pour le contrôle d’un territoire ? Je ne le crois pas. Au-delà des métaphores (guerre commerciale, idéologique, etc.), le mot est pleinement justifié quand il s’agit de luttes à mort qui provoquent des pertes humaines, et qui exigent, pour vaincre, une mobilisation massive, des stratégies, des chaînes de commandements coordonnées. C’est le cas avec la Covid, comme avec le djihadisme islamiste.
Ces guerres ne sont pas conventionnelles. Elles n’ont pas été déclarées, ne sont pas menées principalement par des soldats, et se poursuivent dans l’ombre, en silence, avant d’éclater au grand jour. Évidemment, elles sont différentes l’une de l’autre. Le coronavirus, ennemi non humain, n’a pas d’intention, de plan, de volonté. A l’inverse, l’islamisme radical – inhumain au sens où seuls des hommes sont capables de l’être – possède un projet explicite. Comme l’expliquait déjà dans les années 1960 Sayyd Qoteb, l’un des fondateurs des Frères musulmans, le califat mondial est l’objectif. Sans oublier, cela va de soi, que la Covid est combattue d’abord par les médecins, les soignants et le service de santé, alors que le terrorisme relève des services de renseignements, de la police et de l’armée.
Ces guerres dissemblables possèdent malgré tout bien des points communs. L’une et l’autre sont asymétriques : des efforts colossaux sont déployés pour mater un virus qui résiste et progresse sans rien avoir à faire, des moyens énormes sont mis en oeuvre pour endiguer des tueurs low cost armés de hachoirs. Et les deux sont désormais mondiales, ne se soucient ni des frontières ni des régions, constituent des fléaux globalisés.
Surtout, leur juxtaposition dans le temps provoque des effets de renforcement inattendus. Accroissement de l’angoisse, de la sidération, de l’incertitude. La déstabilisation s’intensifie dans les vies quotidiennes, les psychismes individuels, les institutions politiques. Et ce redoublement des effets va s’inscrire dans la durée.
Le virus tue, l’islamisme assassine
Que nous appartient-il de faire, chacun pour notre compte ? L’erreur serait de s’en remettre systématiquement à d’autres, de se dire que ces combats sont entre les mains des seuls scientifiques, politiques ou forces de l’ordre, et d’en conclure que nous ne pouvons rien, sauf attendre, passivement, inquiets et planqués, que passent les tempêtes. Certes, on ne peut que patienter avant la découverte de vaccins et de remèdes, ou les résultats d’opérations de renseignements. Mais on ne doit pas oublier que ces guerres passent aussi en chacun de nous. Et qu’il existe une ligne de front dans les têtes, quelles qu’elles soient.
C’est pour cela, aussi, que prolifèrent querelles bouffonnes, gesticulations obscènes, rebellions débiles. Sous l’effet de deux crises en même temps, jamais on ne vit tant d’idiots utiles et de munichois fervents. Sous l’écume des tweets, les choses sont pourtant simples. Soit on se résigne, on abdique, on consent au pire. Soit on résiste, on endure, on tient. Parce que ces luttes sont aussi des affaires mentales, des choix d’attitude intime. Les guerres contre des ennemis extérieurs dépendent avant tout de guerres en nous-mêmes et contre nous-mêmes, de défis intimes à relever pour pouvoir s’en sortir.
Premier défi : faire la guerre au déni, accepter d’évaluer lucidement la violence de la réalité. Le virus tue, laisse des séquelles, constitue une menace majeure pour la santé publique et pour l’économie. L’islamisme assassine, mutile à l’aveugle, rêve d’écraser les libertés et les principes qui fondent les démocraties. Commençons par cesser de minimiser, d’édulcorer, de croire à des fables et des complots.
Second défi : faire la guerre à nos certitudes figées, les examiner, savoir les critiquer, faire le tri. Dans ce que nous tenions pour assuré, dans l’état des connaissances ou dans l’Etat de droit, quels éléments sont ébranlés ? Que faut-il jeter, remplacer, conserver ?
Des défis préalables à tous nos combats.