« La Reconstruction de la pensée religieuse en Islam », de Mohammed Iqbal
DEMAIN UN AUTRE ISLAM ?
Il est né dans le Pendjab, en 1877. Famille d’anciens brahmanes du Cachemire, convertis de longue date à l’islam. Jeune homme, Mohammed Iqbal se passionne pour la pensée sous toutes ses formes, qu’elle soit poétique, mystique ou philosophique. A ses yeux, ces registres convergent plus qu’ils ne s’opposent. Etudiant en Angleterre, au Trinity College de Cambridge, à partir de 1905, il voyage en Allemagne, en France, rencontre notamment Henri Bergson, qu’il admire, et l’islamologue Louis Massignon.
Le profil d’Iqbal est une rareté. A la fois juriste, penseur, poète, musulman, indien, lecteur de Nietzsche, soucieux d’évolution créatrice, partisan d’une « démocratie spirituelle », il juge l’islam figé, ossifié, crispé depuis des siècles sur des formalismes qui l’entravent et le dessèchent. Il se donne pour tâche de travailler à revivifier l’héritage coranique, en puisant à ce qu’il juge être son inspiration la plus originaire et la plus profonde. Après une série d’œuvres poétiques, composées en ourdou et en persan, il publie en anglais, en 1934, La Reconstruction de la pensée religieuse en islam, rassemblant huit conférences. Il meurt quatre ans plus tard, sans avoir vu naître le Pakistan, qu’il appelait de ses vœux, et dont il est, pour une part, le père spirituel.
Encore méconnu du public, Mohammed Iqbal est familier à certains philosophes. Auteur reconnu, Abdennour Bidar, inspecteur général de philosophie, a publié L’Islam spirituel de Mohammed Iqbal (Albin Michel, 2017). C’est lui qui a mené à bien la traduction, publiée aujourd’hui, de l’essai majeur d’Iqbal, en l’accompagnant de notes abondantes et utiles. Souleymane Bachir Diagne, professeur à l’université Columbia (New York), qui préface ce volume, a publié en 2001 Islam et société ouverte. La fidélité et le mouvement dans la pensée de Mohammed Iqbal (Maisonneuve et Larose). Dans les générations précédentes, l’œuvre n’était d’ailleurs pas absente, puisqu’une première traduction française, par Eva de Vitray-Meyerovitch, grande experte du poète mystique persan Rumi, était parue en 1955. Malgré tout, la pensée d’Iqbal est demeurée confidentielle.
Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi. L’œuvre est dense, truffée de références scientifiques, philosophiques et spirituelles empruntées à l’Occident autant qu’à l’Orient. Elle a surtout de quoi heurter aussi bien des musulmans, en critiquant férocement leur sclérose historique, que des non-musulmans, en décrivant la société européenne de manière parfois caricaturale. Et pourtant, Iqbal a ouvert un chantier immense et passionnant – discutable, mais à prendre en compte. Car il invite l’islam à retrouver sa dynamique interne et son élan, pour déboucher, au-delà du religieux, sur une spiritualité universelle à venir.
Une question décisive est de savoir si cet avenir esquissé est encore l’islam ou non. Une autre question, pour érudits cette fois, est d’examiner dans quelle mesure Iqbal importe dans sa vision des éléments de la philosophie indienne, car bon nombre de ses développements évoquent l’univers des Upanishad autant que celui du Coran. Finalement, les interrogations que soulève cette œuvre sont fondamentales. Elle conduit en effet à scruter la nature de l’héritage coranique aussi bien que celle du religieux, du politique et du spirituel. Peu importe que l’on partage ses conceptions, continuer de l’ignorer serait une erreur.