Le philosophe Alexandre Matheron est mort
Le philosophe Alexandre Matheron, né à Paris en 1926, est mort dans la même ville, à son domicile, le 7 janvier, à 94 ans. Grand spécialiste de la pensée de Spinoza, dont il a profondément renouvelé la compréhension à partir des années 1960, ce chercheur et professeur discret a consacré toute sa vie et tous ses travaux à l’exploration des questions cruciales posées par ce système philosophique, au point de devenir, aux yeux de ses lecteurs, disciples et collègues, le maître des études spinozistes contemporaines.
C’est dès 1949 qu’Alexandre Matheron avait consacré son diplôme d’études supérieures à Spinoza, alors qu’il ne publiera qu’en 1968, aux Editions de Minuit, son grand ouvrage, Individu et communauté chez Spinoza, dans une collection que dirigeait alors Pierre Bourdieu. Entre-temps, il avait obtenu l’agrégation de philosophie en 1956, puis était allé enseigner en Algérie jusqu’en 1963. Fervent militant du Parti communiste français, qu’il quitte en 1957, il est, à son retour à Paris, chercheur au CNRS, puis enseigne à l’université de Nanterre et longtemps à l’Ecole normale supérieure de Saint-Cloud, où il a formé quantité d’étudiants.
La ténacité d’un limier
La singularité de son opus majeur est de reconstruire toute la philosophie de Spinoza à partir d’un point au premier abord secondaire, l’existence du conatus – l’effort pour persévérer dans son être –, dont Alexandre Matheron déduit aussi bien la théorie des passions individuelles que celle de la politique et de la vie collective. Fondée sur une lecture des moindres détails des textes, la méthode de Matheron ne consiste pas à rédiger un commentaire historique ou philosophique, mais plutôt à élaborer une véritable reconstruction, rationnelle et démonstrative, parfois surprenante, de la cohérence de l’ensemble à partir d’une difficulté jusque-là non résolue.
Avec le même sens de la rigueur interne du système, il interroge, dans Le Christ et le Salut des ignorants chez Spinoza, ce qui peut ne sembler, au premier regard, qu’un point de détail. En fait, en creusant une énigme ténue avec la ténacité d’un limier digne des meilleures enquêtes policières, le philosophe débouche sur des questions cruciales, qu’il s’emploie à résoudre logiquement. Avec ce deuxième livre, paru chez Aubier Montaigne en 1971, on a longtemps cru son œuvre close. Deux publications avaient suffi pour l’installer, définitivement, au firmament des grands exégètes.
C’était compter sans une multitude d’études et d’articles, disséminés dans des revues savantes souvent peu lues. D’abord rééditées chez Vrin, en 1985, ses Etudes sur Spinoza et les philosophes de l’âge classique, reprises et augmentées, en 2011, par ENS éditions à Lyon, constituent le troisième pilier de cette œuvre exigeante. Elle a su confronter inlassablement la pensée de Spinoza à toutes les questions que ce penseur avait connues, à celles qu’il avait examinées comme celles qu’il avait plus ou moins délaissées. De manière plus étonnante, Alexandre Matheron a su élaborer maintes réponses spinozistes à des dilemmes d’aujourd’hui, que le philosophe, en son temps, ne pouvait ni rencontrer ni résoudre. C’était sa manière de faire éclater au grand jour la vérité, à ses yeux insurpassable, du système. Alexandre Matheron en quelques dates
1926 Naissance à Paris
1968 « Individu et communauté chez Spinoza »
1971 « Le Christ et le Salut des ignorants chez Spinoza »
1985 « Etudes sur Spinoza et les philosophes de l’âge classique »
7 janvier 2020 Mort à Paris