« La Minute antique », de Christophe Ono-dit-Biot
Les œuvres de l’Antiquité, de quoi parlent-elles donc ? De leur temps, et de rien d’autre, diront les uns. Leur horizon est tellement lointain qu’il en devient exotique, voire incompréhensible. Décrivant uniquement leur époque, révolue depuis des siècles, textes grecs et romains n’auraient pas grand-chose à nous dire, aussi périmés que les combats à la lance, les trajets en char, les amphores pour conserver l’huile d’olive.
Pas du tout, diront les autres, ces œuvres parlent de tous les temps, universellement. Elles expriment les dilemmes de l’humaine condition et demeurent donc éternellement actuelles. La fureur d’Ajax, les ruses d’Ulysse, les malices de Socrate sont contemporaines de toutes les générations, parce qu’elles illustrent des émotions, attitudes et comportements qui se retrouvent, à l’identique, au fil des siècles.
De flash en flash
Cette querelle n’est pas neuve. Les deux points de vue sont solides, dans la mesure où les Anciens se montrent si différents de nous et pourtant si semblables qu’on ne sait jamais, en fin de compte, sur quel pied danser. Ils sont à la fois déconcertants et familiers, proches et lointains. L’impression de retrouver notre monde, mais différemment orienté, sous une lumière tout autre, provoque un trouble étrange, et des effets souvent inattendus. Ces télescopages et courts-circuits sont explorés, avec allégresse, par La Minute antique.
Une minute chaque fois, à peine plus, pour entrechoquer des faits présents et des textes antiques, voilà qui est peu. Mais c’est assez pour éclairer, de flash en flash, Jupiter à l’Elysée avec Macron, les sirènes de l’Odyssée dans les rêves de Google, les traits de Catilina dans le visage de Mélenchon, ou encore les mésaventures actuelles de l’Europe grâce à l’histoire de la jeune Phénicienne qui portait ce nom, enlevée et violée. Ce tourbillon, ces feux d’artifice font le charme du nouveau livre de Christophe Ono-dit-Biot.
Frères et sauvages
Comme son nom, l’auteur a trois facettes, ici rassemblées et entrelacées. Agrégé de lettres, il lit Homère en grec, et Virgile, Cicéron ou Suétone en latin. Romancier, il sait tenir l’attention, comme l’ont montré notamment Birmane (Plon, 2007) et Plonger (Gallimard, 2013). Journaliste, il traque les détails de l’actualité, de l’audiovisuel à la presse écrite, entre politique et culture. Il va direct, en vitesse, à l’essentiel. Le tout se retrouve dans cette « Minute antique », publiée chaque semaine par Le Point, dont Christophe Ono-dit-Biot est directeur adjoint.
Les textes, réordonnés, remaniés, augmentés de nombreux inédits, gagnent à être lus ensemble, de manière suivie. Car on perçoit mieux la singularité du projet, où l’anachronisme malicieux n’a qu’une faible part. Le devin Tirésias – qui fut tour à tour homme puis femme, sept fois, précise Ovide, et put ainsi comparer leurs jouissances – est-il le premier des gender fluids ? Cela importe moins que l’interrogation sans fin, des Grecs à nous, sur la frontière masculin-féminin.
Les Anciens ne sont plus des modèles ni des géants nous offrant leurs épaules. Ils se révèlent et frères et sauvages en même temps, tantôt nous éclairant, tantôt nous égarant, toujours nous éberluant. Voilà ce que rappellent, avec éclat, les étincelles multicolores provoquées par cette brassée de brèves rencontres.