Oui à l’écologie, non à l’écologisme
Il est devenu urgent de dissiper une fâcheuse confusion, celle qui amalgame écologie avec écologisme. Bien qu’elle soit encore trop peu répandue, la distinction entre les deux se révèle vite cruciale. Car l’indispensable écologie est une belle et bonne chose, vitale et vivante. Son prédateur, l’écologisme, est au contraire une idéologie funeste et mortifère. Pour bien saisir ce qui les oppose, rien ne vaut l’essai de Bruno Durieux qui paraît aujourd’hui, intitulé Contre l’écologisme, et sous-titré Pour une croissance au service de l’environnement. Voilà un texte qui devrait faire du bruit, et clarifier les idées, si toutefois l’auteur échappe aux petites hordes de militants fanatiques qui ne manqueront pas de vouloir le lyncher.
Bruno Durieux n’est pas n’importe qui. Polytechnicien, il fut administrateur de l’INSEE, membre du cabinet de Raymond Barre, puis ministre de la santé, ensuite du commerce extérieur, entre 1990 et 1993. Inspecteur général des Finances, il est maire de Grignan depuis 1995. Petit-fils d’éleveur, fils d’un conservateur des Eaux et Forêts, il a grandi à la campagne, connaît grandeur et servitude des métiers de la terre. Ces liens, et sa connaissance de l’écologie lui donnent une claire conscience des multiples défis à relever : protéger la biodiversité, préserver l’air et l’eau, défendre la qualité des aliments, etc. Sa conviction est que ces objectifs sont tous accessibles, mais ils exigent, pour être atteints, croissance, prospérité, développement scientifique et technique. En fait, tout ce que combat l’écologisme.
Ce mot désigne un fanatisme vert, de type religieux, aux implications politiques multiples. Il transforme la nature en icône et sonne le tocsin : la vie est en danger, l’humanité en péril. Animé de l’intransigeance commune à tous les sectaires aveugles et tous les millénaristes illuminés, l’écologisme répète que nous allons « dans le mur », inéluctablement. Il ressasse que nous sommes coupables de tout saccager. Nous devons donc nous repentir, tout arrêter, changer de cap. L’urgence devient d’en finir avec le capitalisme et son obsession de la croissance, qui sont supposés entraîner nécessairement l’exploitation du vivant et le massacre de la terre. Il faut faire très vite, ajoute l’écologisme, ou mourir.
Ce discours devenu dominant se fait aujourd’hui de plus en plus inquisitorial. Pour Bruno Durieux, c’est l’enfant monstrueux du vieux communisme et de la haine de l’humanité. L’écologisme annonce en effet que tout va s’effondrer, comme le faisaient autrefois les prophètes marxistes de la chute inéluctable du capitalisme. Mais cet effondrement devait laisser place à une monde heureux. L’écologisme y ajoute un goût d’apocalypse anti-humaniste, qui fait de notre espèce la grande prédatrice à combattre. La nature serait belle et bonne, l’humanité mauvaise et haïssable. Cette imprécation ressemble à un délire plus qu’à un savoir lucide.
Car tout est faux, depuis des dizaines années, dans les affirmations que l’écologisme assène avec un aplomb constant, voire croissant, insensible aux démentis cinglants des faits. De manière utile, Bruno Durieux a la cruauté de revenir sur toutes les affirmations des années 1970, qui prévoyaient la fin imminente du pétrole, du cuivre, du gaz, qui annonçaient des famines effroyables et inéluctables engendrées par l’explosion démographique. Effectivement, l’humanité a plus que doublé, mais la révolution verte a permis de nourrir tout le monde. Et aujourd’hui toutes les énergies fossiles, , les ressources en minerais et en matière première affichent au bas mot plusieurs siècles de réserves… Ce qui n’empêche pas que l’écologisme persiste et signe.
Sans doute la question de fond est-elle un choix philosophique. Car ce réquisitoire contre l’écologisme destructeur est un plaidoyer pour l’écologie positive. Finalement, de deux choses l’une. Soit on se figure que l’homme est haïssable, le savoir dangereux, le progrès illusoire, la prospérité un vain songe débouchant sur l’enfer… et l’on versera dans l’écologisme. Soit on juge qu’il faut améliorer notre relation à la terre et aux vivants, mais également notre confort, qu’il n’y a entre les deux aucune incompatibilité fondamentale, que les combats contre les méfaits des techniques reposent sur des solutions techniques et que seule la croissance économique peut permettre de les découvrir et de les appliquer… et l’on dira oui à l’écologie.
(1) Bruno Durieux Contre l’écologisme. Pour une croissance au service de l’environnement. Editions de Fallois, 264 p., 18, 50 €