Antiquité ? C’est pour demain !
Longtemps, ils servirent de modèles. Jugés indépassables, les Anciens étaient à imiter, c’était la condition première de toute création. Ensuite, ils devinrent gibier pour archéologues, terrain de chasse pour érudits à col dur et lorgnon, avant de finir par moisir entre poubelles du mépris et dépotoirs de l’oubli. Mais, ces derniers temps, tout commence à changer. D’innombrables lecteurs les redécouvrent, des auteurs glorifient avec talent le génie du grec et celui du latin, éditeurs et médias s’y intéressent. Le ressort de cette résurrection qui s’amorce ? Il reste à déterminer. Plutôt qu’une nouvelle « renaissance », opérant un retour aux sources de la culture occidentale, l’avenir et ses angoisses semblent au coeur du processus. Moins le futur semble humain, plus les Anciens révèlent de trésors d’humanité. Moins l’horizon est clair, plus ils fournissent d’outils pour comprendre.
Ce lien paradoxal et puissant entre Antiquité et avenir constitue le fil qui rassemble le réseau d’associations « Antiquité-Avenir », né en 2015, regroupant aujourd’hui 38 organismes où se côtoient notamment historiens, juristes, économistes, linguistes et philosophes. A son initiative, des « Etats généraux de l’Antiquité » viennent de se tenir, les 8 et 9 juin, à la Sorbonne. Le volume intitulé L’Avenir se prépare de loin est publié en même temps, sous la direction de son président, Jacques Bouisneau. Il rassemble une trentaine de courts textes dont les auteurs exposent leurs relations aux Anciens et ce qu’ils y puisent dans leurs œuvres pour comprendre aujourd’hui et construire demain.
L’idée est excellente. La cause est bonne, l’initiative sympathique. Mais le lecteur reste sur sa faim, s’il espère quelque idée neuve ou quelque analyse incisive. En dépit de la qualité des contributeurs – hommes politiques, écrivains, scientifiques, sans oublier antiquisants… – l’ensemble, forcément disparate, accumule vœux pieux, déclarations convenues et souvenirs d’apprentissages personnels.
Vive le latin, de Nicola Gardini, constitue une défense et illustration des ressources antiques autrement séduisante et percutante. Aujourd’hui professeur à Oxford, cet érudit italien, spécialiste de la Renaissance, est l’auteur d’une œuvre déjà fournie, où se mêlent essais et fictions, mais dont rien, à part ce titre de 2016, n’est traduit en français. Vive le latin est d’abord le récit, autobiographique, d’une histoire d’amour entre un homme, né en 1965, et une langue que plus personne ne parle mais qu’il imagine, adolescent, comme « l’espace du bonheur par excellence », au point de parler latin la nuit, en rêve… L’originalité de l’essai est de faire partager cette passion dévorante en montrant comment cette langue engendre des notions spécifiques et habite des registres multiples.
Gardini passe donc en revue, au fil d’une vingtaine de chapitres, Cicéron et Plaute, Catulle et Virgile, César et Tite-Live, Sénèque et Horace – entre autres. Rien à voir, malgré tout, avec une histoire des lettres romaines. Chaque auteur, en effet, est lié à une seule expression, un seul thème où se donne à voir la puissance propre au latin d’élaborer un monde comme nulle part ailleurs.
Latin ou grec ? Préférer l’un à l’autre, c’est choisir entre ces deux univers mentaux. Leurs partisans respectifs se querellent au fil des siècles. Il se pourrait que les générations futures prolongent la partie.
L’AVENIR SE PRÉPARE DE LOIN
sous la direction de Jacques Bouineau
Les Belles Lettres, 210 p., 17,50 €
VIVE LE LATIN
Histoires et beauté d’une langue inutile
(Viva il latino)
de Nicola Gardini
Traduit de l’italien par Dominique Goust
avec la collaboration d’Ilaria Gabbani
Éditions de Fallois, 280 p. 18 €