Adieu sanctions, bonjour forfaits !
Les vraies révolutions commencent par un détail. Elles se faufilent dans un coin, subrepticement, avant de déferler pour changer la face du monde. Celle dont je veux parler pourrait bien être d’une ampleur inouïe et d’une radicalité sans précédent. Je ne voudrais certes pas troubler les réveillons et la trêve des confiseurs, mais j’imagine que ce détail inaperçu risque de réorienter toute la vie des Français, et bientôt celle de l’humanité. Tous concernés, tous exposés, nous devons être tous avertis du grand chambardement qui va s’abattre, dans quelques jours, sur notre pays.
Dès le 1er janvier prochain, dans plus de 800 villes de l’Hexagone, il n’existera plus du tout de contravention pour non-paiement du stationnement. Stationner restera payant, évidemment, mais ne pas avoir payer ne constituera plus une infraction. Finies sanctions, amendes et pénalités. Tout ce vieil appareil répressif et punitif s’évanouira d’un coup de baguette magique. La dépénalisation est là ! Et la suite est délectable… Cette ère nouvelle correspondra à l’entrée en vigueur d’une invention irrésistible, dénommée « forfait post-stationnement », FPS pour les intimes.
Son principe est simple : qui stationne paye, soit tout de suite, soit un peu plus tard, et donc plus cher, voire beaucoup plus cher. L’ancienne amende forfaitaire à 17 € sera donc remplacée, selon les communes et les cas de figure, par des forfaits « post stationnement » à 50 €, 90 € et plus encore. La sanction s’envole, le tarif aussi…
Jusqu’à présent, les commentateurs, peu nombreux, ont vu la surface du système, mais pas ses principes. Ils soulignent ses avantages (équité, rentabilité, ressources pour les collectivités) comme ses inconvénients (privatisation des contrôles, difficultés de mise en place, excès tarifaires). Or le plus intéressant, potentiellement révolutionnaire, ce sont les principes. Plus de contrevenant : celui qui ne paye pas aujourd’hui le fera demain. Plus de sanction officielle : le tarif pour retardataires est supérieur, rien d’autre. Pas de faute ni de jugement. Juste des montants à payer.
Pourquoi est-ce un coup de génie ? Parce que le système du « forfait post-quelque chose » pourrait bien, à terme, remplacer avantageusement le code pénal, les tribunaux, toutes les vieilleries judiciaires. Il suffirait de trois fois rien pour appliquer, partout, ces nouvelles règles. Le vol se transformerait en « forfait post-achat » : ce qui n’est pas réglé sur place est payé, plus cher, un plus tard. Détournements de fonds, abus de biens sociaux, blanchiments et autres seraient englobés dans un « forfait post-transaction », conforme lui aussi à la règle « ce qui n’est pas acquitté le jour même est majoré par la suite. »
Impossible d’en rester là ! La fin des sanctions, leur remplacement par des forfaits seraient appelés à une vaste extension. La taxe carbone, devenue « forfait post-émission », couvrirait les anciennes infractions envers l’environnement. Mensonges, calomnies, diffamations relèveraient d’un « forfait post-propos » (le sens de ce que vous avez dit, après coup, vaut plus cher). Même les châtiments pour homicide finiraient par devenir obsolètes, remplacés par un « forfait post-tuerie », taxant un meurtrier au bénéfice des proches de ses victimes.
Chacun poursuivra à sa guise, en constatant, de proche en proche, combien est extraordinaire le potentiel de ces forfaits. Ils permettent en effet d’annuler la délinquance, tout en monétisant continûment des comportements incivils ou asociaux. Sans oublier un détail essentiel : ces forfaits dépendent des communes. Ils sont locaux, gérés de manière autonome et décentralisée. De même qu’on ne post-stationne pas pour le même tarif à Aurillac qu’à Paris, il deviendrait vite possible de frauder, de calomnier ou de tuer pour des coûts très différents suivant les places. On rêve déjà, sur le modèle des paradis fiscaux, de villes où le viol, la torture et l’homicide deviendraient très bon marché.
Souvenez-vous que le FPS commence dans quelques jours. Ce pourrait être le début d’une grande révolution. Jusqu’à présent, l’histoire de l’humanité n’avait connu que le droit, les sanctions, un infini cortège d’infractions et de pénalités, de coupables et de châtiments. Voilà qu’elle va entrer dans une tout autre dimension : celle des forfaits où il n’y a plus que des payeurs innocents plus ou moins ponctionnés. Et cela va commencer chez nous, dès le 1er janvier…. Quelle fierté !