« Tu as vu ? L’école s’effondre »
On imaginerait cette réplique (« Tu as vu ? L’école s’effondre… ») prononcée dans un tremblement de terre. Au Népal, à Mexico, dans d’autres lieux encore, ces dernières années, la phrase a dû s’entendre au sens propre : tout bouge, les murs se fissurent, les plafonds tombent, des enfants se trouvent ensevelis sous les décombres. Et pourtant, c’est en France, sans secousse sismique apparente, que j’ai entendu ces mots, il y a quelques jours. La personne qui les prononçait venait de lire les résultats du dernier classement Pirls « Programme international de recherche en lecture scolaire », publié tous les cinq ans. Ce qu’on y découvre, concernant les écoliers de l’Hexagone, est simplement désolant. Ou consternant, ou révoltant – chacun choisira.
Réalisée dans cinquante pays du monde auprès d’enfants terminant leur quatrième année de scolarité, cette étude classe les petits Français au 34e rang. De façon plus alarmante encore, elle montre combien les compétences en lecture et en compréhension des textes ont progressé partout… sauf en France et aux Pays-Bas. Dans l’ensemble des Etats concernés, les écoliers lisent nettement mieux qu’il y a quinze ans. Chez nous, ils ont régressé ! Les résultats nationaux sont inférieurs à ceux de 2001. Ce sont là des données objectives, indiscutables, non des partis pris idéologiques. Et ce n’est pas un détail, car la lecture engage tout le reste : lisant moins bien, les élèves maîtrisent mal la langue et se trouvent handicapés en lettres, cela va de soi, mais aussi en sciences, on ne le souligne jamais assez.
Ce déclin régulier est gravissime. Il engage le développement intellectuel, culturel, affectif, personnel de millions d’enfants. Il détermine aussi, à relativement court terme, la place du pays dans le monde de demain. Il est donc temps de ne plus confondre les cris d’alarme avec des nostalgies réactionnaires et des crispations passéistes. Blouses grises, tableau noir et craie blanche, pleins et déliés, plumes sergent-major et zéros de conduite sont une chose, dont la nostalgie n’est pas forcément indispensable. L’instruction de base, l’acquisition des compétences essentielles, l’apprentissage efficace d’outils valables pour toute la vie est autre chose, qui ne peut ni ne doit être abandonné sous aucun prétexte.
Il semble bien que l’actuel ministre de l’éducation ait conscience de la nécessité impérieuse d’un redressement. Reste à espérer qu’il s’en donne réellement les moyens, ce qui n’est pas simple, tant la situation paraît dégradée en profondeur. Pour s’en faire idée, il faut se reporter à ce que constatent les praticiens du terrain, en particulier les professeurs de lycée. Ils mesurent jusqu’en terminale l’étendue des dégâts occasionnés par l’insuffisance des formations de base. J’ai beaucoup appris, pour ma part, d’un document dont je recommande la lecture. Il est presque passé inaperçu, car il fut diffusé au printemps dernier, après la campagne électorale. Il s’agit d’une note intitulée Crise de l’Ecole française, rédigée par Jean-Hugues Barthélémy pour l’Institut Diderot (1).
L’auteur, professeur de philosophie, met en lumière plusieurs processus sur lesquels se fait habituellement le silence. Ainsi, la décision de recevoir 80% des élèves au baccalauréat s’est-elle mise en œuvre au prix d’un abaissement volontaire et drastique des barèmes des notes et des critères d’évaluation. Ainsi l’orientation des élèves vers des filières généralistes, quels que soient leurs aptitudes ou leurs goûts, dépend-elle désormais des parents et des chefs d’établissement – plutôt que des professeurs et des intéressés…
Arrêter ce que Jean-Hugues Barthélémy n’hésite pas à appeler la « spirale autodestructrice de l’Ecole française » est aussi urgent que difficile. Les solutions passent, notamment, par la restauration de l’apprentissage du français, la diminution des effectifs par classe, la revalorisation des filières professionnelles. Mais aucune de ces mesures ne sera efficace si n’est pas restaurée en même temps la conscience vive de l’école comme pilier de la République. Derrière les interminables débats pédagogiques et les serpents de mer de la sociologie scolaire, il y a la question de savoir si l’on veut vraiment que tous les citoyens soient instruits. Ou si l’on continue de faire semblant. Si c’est le cas encore quelque temps, il y aura, sous les décombres, de moins en moins de rescapés.
- Document téléchargeable à l’adresse suivante http://www.institutdiderot.fr/crise-de-lecole-francaise-2/