Un révolutionnaire broyé par la Terreur
C’est un inconnu célèbre. Son nom est inscrit dans l’histoire : une rue le porte, à Paris, non loin des locaux du Monde, et une chaire à Sciences Po Bordeaux, créée en 2009. Surtout, les innombrables récits concernant la Révolution Française le mentionnent presque sans exception. Et pour cause : Pierre Victurnien Vergniaud (1753-1793) fut à plusieurs reprises président de l’Assemblée législative, puis de la Convention Nationale. Il contribua activement à la destitution de Louis XVI et figura parmi les grands orateurs de son temps. Pourtant, qui se souvient vraiment de la manière dont il fut écrasé par la machine à Terreur ? Qui a en tête qu’il fut guillotiné, le 31 octobre 1793, avec vingt autres députés, pour des chefs d’accusation imaginaires, et sans avoir pu se défendre ? L’ignominieuse parodie de justice, plus proche du Père Ubu que de la République, est entrée dans le silence.
Comme étaient oubliées les notes prises par Vergniaud lui-même, avocat brillantissime, pour arrêter « le souffle empoisonné de la calomnie », selon ses termes. Il projetait de réfuter point par point les accusations de complot et de trahison proférées contre lui et ses amis Girondins par les Montagnards Robespierre et consorts. Ces notes, l’avocat Michel Laval les a retrouvées, confrontées aux discours et aux lettres de Vergniaud et aux travaux des historiens pour élaborer cette singulière Plaidoirie d’outre-tombe. Ce qui intéresse cet auteur – on lui doit de remarquables travaux sur Robert Brasillach, Arthur Koestler, Charles Péguy –, ce sont les moments où les événements écrasent des destinées. Ici, l’homme qui va mourir, qui se sait condamné d’avance, dépeint l’engrenage du pire. Il scrute les mécanismes de cette machine infernale qui va le décapiter après avoir transformé les meurtres en vertus, les assassinats en émancipation, la Terreur en Liberté.
Cette plaidoirie de fiction éclate de réalité. Ce qu’elle fait resurgir est à méditer. L’écrivain montre en effet comment s’emballent les rouages d’une révolution, fabriquant soudain des monstres au nom du salut du peuple, des dénis de justice au nom de l’égalité. Du jour au lendemain, l’arbitraire devient la loi, et la forfaiture l’exercice quotidien du pouvoir, voilà ce que rappelle Michel Laval rappelle. Il peint la haine sans frein rendant aveugle. Et se met dans la peau de Vergniaud, tissant comme lui une prose à l’antique, scandée d’anaphores multiples, de formules frappées comme des médailles : « Le peuple réclamait du pain : on lui offrit du sang », ou bien : « ils n’allaient pas au combat : ils marchaient au crime ».
Au bout de la nuit, le personnage s’interroge sur son rôle de déclencheur. Innocent des crimes dont on l’accuse, il a bien participé – et fort activement ! – à l’intensification progressive de cet ébranlement qui débouche sur la Terreur. « Les forces que j’avais contribué à déchaîner s’étaient retournées contre moi. » Si la leçon est importante, c’est qu’elle ne manque pas d’actualité. Les contextes sont très différents, toutefois le projet revient d’en finir violemment avec les responsables supposés des malheurs du monde. Marat voulait « purger la terre (…) de l’engeance maudite des capitalistes, agioteurs, monopoleurs ». Cela s’entend de nouveau. Le mérite de Michel Laval est de rappeler qu’il faut peu de choses pour que pareille pureté exterminatrice se mue en barbarie.
PLAIDOIRIE D’OUTRE-TOMBE
de Michel Laval
Calmann-Lévy, 254 p., 18 €