Des questions, et rien d’autre
Vous préférez quoi, questions ou réponses ? Cette interrogation peut sembler burlesque. Il faut évidemment les deux, les unes n’existant pas sans les autres. Ensuite, le choix paraît évident : « La plupart des hommes cherchent à obtenir des réponses et non à se pencher sur les questions elles-mêmes », comme le souligne Michel Meyer. Mais les philosophes constituent une exception, car ils privilégient l’interrogation. « Penser, c’est questionner ». La philosophie cherche indéfiniment des réponses, sans jamais les obtenir de manière ultime. Elle se définit bien comme un « questionnement radical », ne présupposant aucune réponse préalable. Questionner est donc, pour la philosophie, son point de départ, son fondement, son lieu de naissance, sa façon d’être. Et la condition de sa survie.
Sauf que les philosophes eux-mêmes, qui sont aussi des hommes, ont commencé très tôt à préférer les réponses aux questions. Socrate se borne à interroger, clame qu’il ne sait rien. Mais Platon, son disciple, échafaude un monde d’Idées, Aristote à sa suite encyclopédise. Bientôt le monde des penseurs se querelle uniquement sur la bonne réponse, s’échine à discriminer la vraie de la fausse… Il oublie les questions, ne se soucie plus de les examiner pour elles-mêmes, omet de les démarquer continûment des réponses. Ce « refoulement du questionnement », Michel Meyer l’analyse, d’Aristote jusqu’à Heidegger, en passant par Descartes, et œuvre à tenter d’y mettre fin. Il s’agit pour lui de faire autrement de la philosophie, en corrigeant ce fourvoiement.
Tentative hardie, qui dure depuis déjà quelque temps. Car Qu’est-ce que le questionnement ?, livre court mais fort dense, expose l’essentiel du parcours théorique tracé par le philosophe ces vingt dernières années sous le nom de « problématologie ». Cette discipline, à laquelle Michel Mayer a consacré depuis 1986 plusieurs ouvrages, questionne les questions, interroge leur statut spécifique. Elle propose de renouveler l’approche du questionnement à partir des théories contemporaines de l’argumentation et de la philosophie du langage. Aujourd’hui professeur émérite à l’Université libre de Bruxelles, ce philosophe est l’auteur d’une œuvre abondante et diverse, où voisinent des essais sur l’art romain, les passions, le théâtre d’Ibsen, sans oublier un essai sur Eric-Emmanuel Schmitt et récemment un roman, Intoxication à l’héritage, d’une noirceur toute schopenhauerienne (L’Harmattan, 2015).
Son apport théorique principal demeure toutefois la problématologie, dont il a appliqué la méthode notamment aux argumentations (Principia Rhetorica, Fayard, 2008) et aux systèmes d’éthique (Principia Moralia, Fayard, 2013). Il y souligne en particulier le caractère déterminant de la « distance » entre les individus, et de son « réglage » par les rhétoriques et les morales. On devra donc prendre garde, en abordant Qu’est-ce que le questionnement ?, publié dans une collection destinée aux étudiants et au grand public : ce texte n’est pas simple, ou l’est faussement. Il traverse une multitude de champs de recherche et de problématiques, tous à développements multiples. Et ce qu’il propose n’est pas anodin. Rien moins qu’une approche différente de la philosophie. Celle, on l’aura compris, qui préfère les questions aux réponses. Et s’efforce d’en tirer toutes les conséquences.
QU’EST-CE QUE LE QUESTIONNEMENT ?
de Michel Meyer
Vrin, « Chemins philosophiques », 128 p., 8,50 €