Donald Trump ou la vérité malléable
De quoi souffre le 45e président des Etats-Unis ? D’un problème avec les faits, comme d’autres avec l’alcool, mais différemment, car il ne présente aucune addiction à la réalité. Au cours de sa carrière d’homme d’affaires, ce travers avait été repéré. Sa campagne électorale, ensuite, l’a souligné et les premières semaines de son mandat le confirment. Le président comme son équipe donnent l’impression d’avoir du mal à reconnaître l’existence d’une vérité objective, indépendante des présentations qu’on peut en donner, des interprétations qu’on peut en faire. Ils remplacent volontiers cette vérité par des affirmations étranges. Par exemple, il y a quelques jours, Donald Trump a mentionné un attentat terroriste en Suède qui n’a jamais existé. Cette construction imaginaire semble née d’un reportage de Fox News sur la recrudescence, elle-même supposée, des viols en Suède à cause de l’arrivée des migrants. S’agit-il tout bonnement de mensonges ? Ce n’est pas si simple.
En effet, mentir entièrement consiste à forger de toutes pièces une histoire qui n’existe pas. Cette invention construit une fable, un univers fictif sans rapport aucun avec la réalité. Or la méthode Trump ne procède ainsi. Elle consiste plutôt à étirer la vérité, à l’augmenter, à la pourvoir d’agréments ou de dangers qui conviennent aux objectifs du moment. Cette forme singulière de « vérité augmentée » de doit pas être confondue avec les « faits alternatifs » inventés en janvier dernier par la conseillère Kellyanne Conway. Car cette dernière formule – digne de George Orwell et de la « novlangue » totalitaire de 1984 – est tout simplement absurde. Il existe une alternative lorsque des données objectives en contredisent d’autres, et qu’il faut trancher. Ou bien quand s’affrontent des interprétations divergentes des mêmes faits. Mais des « faits de remplacement » – que rien n’atteste ! – sont tout bêtement des bobards
Mieux vaut se tourner, pour saisir l’usage particulier qu’a Donald Trump de la vérité, vers ce qu’il a lui-même nommé, dans son livre avec Tonny Schwartz, The Art of Deal (1987), « l’hyperbole véridique ». C’est une technique de vente. La réalité étant toujours moins bien et moins bonne que les acheteurs ne le souhaitent, il est indispensable de la présenter améliorée. Ou bien plus noire et plus dégradée, s’il s’agit de fourguer un remède. Rendre le réel plus attirant ou plus menaçant, selon les cas, «j’appelle ça hyperbole véridique. C’est une forme innocente d’exagération, et une forme très efficace de promotion » précise le texte en question. Somme toute, à partir de ce qui existe, il s’agit de proposer une extension, un supplément, jugé à la fois performant et sans nocivité. Supposé vraisemblable, cet ajout demeure toutefois purement virtuel.
Un bon exemple vient d’être rappelé par Libération : dans la Trump Tower, la numérotation des étages passe, d’un coup, du numéro 19 au numéro 30. Ce qui a permis au milliardaire d’habiter au 68e étage, alors que la tour concurrente, celle de General Motors, bien que plus haute, n’a que 50 étages. Au mensonge frontal se substitue donc un arrangement de mots et de chiffres, une façon de triturer les apparences pour qu’elles se rapprochent des fantasmes. A la place d’une vérité « bloc de marbre » – immuable, rigide, où un fait est un fait – s’installe une vérité « pâte à modeler », que l’on croit pouvoir façonner, transformer, rouler à guise – parce qu’il n’y a pas de faits, mais seulement des interprétations.
Est-ce grave ? Dans l’absolu, non. Publicitaires, avocats, hommes d’affaires ont recours tous les jours à des présentations tendancieuses des faits – sans parler des journalistes et des hommes politiques… En outre, il n’est pas toujours aisé de définir avec exactitude la ligne rouge séparant l’exacte vérité de son enjolivement ou de son enlaidissement. On devrait même accorder qu’il n’est pas simple, le plus souvent, de discerner ce qui constitue une faute morale parmi ces kyrielles de présentations biaisées.
Malgré tout, nous sommes ici dans un autre cas de figure. De qui parle-t-on, en effet ? D’un commercial de l’immobilier ? D’un businessman de la télé-réalité ? D’un propriétaire de casinos, de restaurants et de golfs ? Le maître-mot de ce Trump-là, était « bravado », qu’on peut traduire par « fanfaronnade ». Celui dont nous parlons à présent est le dirigeant de la première puissance mondiale. S’il persiste vraiment à voir le monde de la même manière, il est urgent de s’inquiéter.