La nouvelle bible des premiers penseurs
Colossal, austère, déconcertant peut-être pour un lecteur non averti, voilà un outil de travail et de découverte sans équivalent. Il exige toutefois d’être abordé avec quelques précautions et explications. Il faut en effet rappeler que si les œuvres de Platon et d’Aristote nous sont parvenues, vaille que vaille, dans leur ensemble et sous forme de textes continus, pratiquement toutes les doctrines antérieures ne sont connues, en revanche, que par des fragments dispersés, des citations ou des allusions disséminées dans des kyrielles d’œuvres rédigées parfois plusieurs siècles plus tard. Reconstituer ce que qu’ont pu dire Thalès ou Héraclite, Pythagore ou Parménide, Zénon ou Empédocle et quantité d’autres revient donc à peu près à récupérer, dans un vaste champ de ruines, des morceaux de chapiteaux, de colonnes ou de statues. Il s’agit ensuite de tenter de comprendre quel édifice ils purent autrefois constituer…
Ce sport philologique a été pratiqué dès l’Antiquité. Réinventé en Europe à la Renaissance, il s’est perfectionné dans l’Allemagne moderne. Après que Nietzsche a attiré l’attention sur le caractère décisif des premiers penseurs grecs, c’est en 1903 que Hermann Diels rassemble et publie les Fragments des présocratiques, complétés ensuite par Walther Kranz. Leur travail eut un rôle majeur dans la philosophie du XXe siècle. Aujourd’hui, avec Les débuts de la philosophie, André Laks et Glenn Most proposent une approche différente des mêmes textes. Elle novatrice sur plusieurs points. Leur choix de textes n’est pas exactement le même que celui de Diels-Kranz : il inclut par exemple des textes médicaux du corpus hippocratique, certains fragments des tragiques, sans oublier des nouveautés, comme le papyrus de Derveni, découvert en 1962, qui reprend et commente une cosmogonie orphique.
L’originalité principale de cet outil savant, qui s’adresse au grand public cultivé aussi bien qu’aux chercheurs, réside dans la présence de trois rubriques qui se retrouvent pour presque tous les penseurs présents : données biographiques, doctrine et œuvres, postérité et réception. Les textes sont donnés en grec, avec traduction française en regard, mais des spécialistes ont également ajouté, dans certains cas, des fragments transmis en arabe, syriaque, araméen, hébreu… dont les originaux grecs sont perdus. Que l’on projette une lecture au long cours, pour découvrir par exemple Anaximandre, ou bien des penseurs comme Protagoras, Gorgias, Antiphon, ou encore des figures moins connues, comme Hikétas – pythagoricien à qui est attribuée la découverte des rotations de la Terre autour de son axe-, que l’on cherche un thème, un argument, une réplique précise, ce gros volume méticuleux sera d’un grand secours.
Il rendra donc quantité de services aux étudiants comme aux professeurs, sans décevoir les autres, dès lors qu’ils se seront accoutumés à la présentation et au classement du contenu. Le seul regret qu’inspire un premier parcours dans cette vaste somme n’a rien à voir avec son contenu. En quelques heures de maniement, la couverture brochée, très mince, est déjà froissée. On voit mal comment elle résistera à un usage suivi. Pour quelques euros de plus, une vraie reliure, cartonnée et solide, qui durerait un peu, ne serait pas du luxe. Les textes, eux, ont traversé plus de deux millénaires.
LES DÉBUTS DE LA PHILOSOPHIE
Des premiers penseurs grecs à Socrate
Textes édités, réunis et traduits par André Laks et Glenn W. Most
Avec la collaboration de Gérard Journée et le concours de Leopoldo Ibarren et David Lévystone
Fayard, « Ouvertures bilingues», 1674 p., 70 €